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napoléonisme, dans son monologue, dans son inquiétant et redoutable Victor Hugo seul. Le monologue hugolien est une immense porte de la poésie, comme l’Arc une immense porte de l’Histoire. Mais le monument, sans proportions humaines, gagne à être seul de son ordre dans Paris, à ne point désaxer l’architecture humaine d’une capitale. Paris le supporte, l’admet, l’incorpore, le digère. Mais une ville, une perspective moindres ? Pareillement le monologue hugolien eût aspiré et désaxé une littérature moins séculaire et moins vigoureuse, moins munie de contre-partie et de contre-poids. Qu’est ce que ce monologue ?
Les jeunes années
Le Poète sans message
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Il s’est formé lentement, favorisé en grande partie par les événements, et le poète des premières années l’eût mal fait pressentir.

De 1822 à 1830, la poésie du romantisme, ce sont trois grands poètes, Lamartine, Vigny, Hugo, classés assez manifestement par l’opinion à part et au-dessus des autres. La précocité de Hugo est telle qu’il est à peine besoin de tenir compte de sa différence d’âge, de douze ans avec le premier, de cinq ans avec le second. Or, si nous comparons l’auteur des Odes et Ballades et des Orientales avec l’auteur des Méditations et celui des Poèmes antiques et modernes, nous sommes frappés de ceci, que des trois, il est le seul qui n’apporte pas ce que nous devons appeler, parce qu’il n’y a pas de mot pour remplacer cet apport anglais, un message. Une âme neuve et profonde s’insinue, pour les pénétrer, les amollir, les rendre fusibles, conquérir les jeunes gens et les femmes, dans les vers de Lamartine et de Vigny. À côté de leurs poèmes sentis et confiés, ceux de Hugo paraissent voulus et proclamés, sont d’un jeune homme studieux, probe, ambitieux, précocement mûri et pondéré, qui a une carrière à faire, et qui la fera, car il a d’excellents principes, comme on disait alors : principes politiques et religieux, mêmes principes poétiques. Rien de plus raisonnable, de plus sage, que son idée de l’ode, et son ambition, qui est d’un grand disciple : « Il a pensé que si l’on plaçait le mouvement de l’ode dans les idées plutôt que dans les mots, si, de plus, on en asseyait la composition sur une idée fondamentale quel-