Or Lamartine et Dumas sont (avec Balzac quand il écrivit les Misères, puis les Misérables) les seuls rivaux auxquels Hugo ait pensé pour considérer leur secret, pour établir entre eux et lui une ligne de comparaison, pour leur reconnaître, sur un point, une supériorité à laquelle il ne pouvait pas atteindre. Il ne paraît jamais avoir éprouvé ce sentiment à l’égard de Sainte-Beuve, il n’a pas eu devant son intelligence l’idée d’une valeur qu’il eût à envier, aussi bien au critique qu’au poète. Il a pu s’inspirer de Joseph Delorme dans les Feuilles d’Automne, comme il s’inspirera de Leconte de Lisle dans la Légende des siècles, ou des Émaux et Camées dans les Chansons des Rues et des Bois, avec l’allure de quelqu’un qui reprend son bien, qui aurait pu inventer cela tout aussi bien qu’eux, et qui en tout cas l’exécute mieux. Peut-être, après tout, l’auteur des Misérables a-t-il pensé de même (à tort) au sujet de Balzac. Mais le poète et l’orateur ne l’ont pas pensé au sujet de Lamartine, l’homme de théâtre ne l’a pas pensé au sujet de Dumas. Il a vu en eux de grands pays, dont il était séparé par des frontières naturelles, par une nature de frontière qu’il sentait en lui ; il se définissait en les reconnaissant.
Qu’à vingt-cinq ans de distance, la même image soit imposée, soit tirée de l’inconscient de Hugo pour lui servir, de son côté, de borne frontière marquée de ses armes, c’est au moins un renseignement considérable. Si nous relisons encore cette ode de 1830 et ce court poème de 1854, nous y reconnaissons une confrontation de ceux qu’on peut appeler deux princes du dialogue avec un prince du monologue.