Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Arsenal devinrent pendant dix ans le rendez-vous de toute la littérature romantique, et surtout de la jeunesse. Poètes, peintres, amateurs, étrangers, s’y pressèrent, y discutèrent, y dansèrent. Ce monde ouvert et libre faisait pendant et contraste au monde des salons fermés ; Musset en fut l’enfant gâté, le prince charmant. Mais on ne peut pas dire que ces rencontres dans ce milieu de passage aient eu une influence littéraire.

Le vrai cénacle romantique se tint dans le salon rouge de Victor Hugo, rue Notre-Dame-des-Champs. C’est de là qu’est sortie la littérature doctrinale du romantisme de 1827, tel qu’il s’exprime dans les manifestes et les préfaces — celle de Cromwell surtout. Sainte-Beuve, Vigny, Dumas, Musset, Balzac, les Deschamps, Tarquety, Boulay-Paty, des artistes, Delacroix, Devéria, Boulanger, David d’Angers, sont assidus, et la société n’a rien d’un groupe fermé : tout poète, surtout tout admirateur, y est le bienvenu. Les séances importantes du Cénacle consistent dans les lectures d’œuvres nouvelles. En juillet 1829, Victor Hugo lit chez lui Marion Delorme, et huit jours après Vigny convoque les poètes pour une lecture de son Othello. Le 30 Septembre 1829, a lieu la célèbre lecture d’Hernani, devant une soixantaine d’amis, effectif ordinaire de ces réunions. Un littérateur remuant, aigri et pointilleux, Henri de Latouche, publia alors en octobre dans la Revue de Paris, l’article, qui fit du bruit, sur la Camaraderie littéraire, où il dénonçait le péril du cercle fermé et de l’encensoir mutuel. Des polémiques s’ensuivirent. Et après 1830 les amitiés se défirent. Les brouilles mutuelles de Hugo, Vigny, Sainte-Beuve, les ironies de Musset, les rivalités de théâtre, les dissentiments politiques, désorganisèrent le Cénacle ; le romantisme brilla plus que jamais, mais ce ne fut plus, au sens précis et technique du mot, une école.

Peintres et poètes.
Sur un point cependant, ce mot d’école, la scola, garde un sens qui importe. Le romantisme est en France la première révolution littéraire qu’il soit impossible de séparer d’une révolution dans les arts plastiques. Il y a une école mixte, un esprit et un art communs à une génération de poètes et de peintres romantiques.

Le Radeau de la Méduse au salon de 1819 et les Massacres