Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus médiocre de son œuvre, et sa collaboration ne porta pas bonheur à la Vie de César de Napoléon III. Il n’en trouve pas moins dans l’histoire la troisième dimension de son style du voyage.

La naissance de la Nouvelle.
De cette nature d’artiste voyageur, de ce contact entre une sûre intelligence classique et une curiosité pour toutes les voies romantiques, est né un genre littéraire qui n’existait pas avant Mérimée, qu’il a poussé à sa perfection, et pour lequel il ne saurait être couplé (une troisième fois) qu’avec Maupassant : la nouvelle.

Mérimée a écrit un roman à la manière de Walter Scott, Chronique du Règne de Charles IX, et un autre livre à dimension de roman, Colomba. Or plutôt qu’un roman Colomba est une nouvelle longue, composée à la manière de la nouvelle mériméenne, dont l’auteur avait déjà, cette année 1840, écrit les principaux chefs-d’œuvre. Et de la Chronique à Colomba on est bien passé, en quinze ans, d’un monde du récit dans un autre, on a vu naître de Mérimée la nouvelle, très loin du conte du XVIIIe siècle, sauf de certains contes de Diderot. L’optique de la nouvelle comporte généralement, comme mise au point, la présence ou le passage d’un voyageur, d’un témoin qui raconte, d’un curieux qui observe, d’un artiste qui peint. Dans le roman, même s’il n’est pas roman-fleuve, le romancier se jette à la nage, épouse un courant, dérive sur un bateau ivre ou lance un bateau-pont. L’auteur de nouvelles, lui, reste sur le rivage, avec son chevalet et sa toile, ou s’il le quitte, ce n’est que jusqu’aux saules de Galatée, et se cupit ante videri. Les nouvelles de Mérimée sont bien moins une Comédie ou une Tragédie ou une Idylle humaine que des Scènes de la vie cosmopolite, l’album d’un voyageur qui, comme Baudelaire, aurait vu partout le spectacle ennuyeux de l’immortel péché, si d’abord ce spectacle n’était retenu par Mérimée pour son divertissement et celui du lecteur, si ensuite Mérimée agnostique, que ses parents n’avaient même pas fait baptiser, ne restait étranger à toute idée du péché, qu’il arrive même, par un tour de force, ironique et volontaire, à éliminer complètement de sa nouvelle espagnole des Âmes du Purgatoire.

La philosophie de la nouvelle de Mérimée reste celle du