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comme a été pensée la Divine Comédie, catholiquement.

Balzac, pas plus que Saint-Martin, ne ressent le catholicisme à l’état d’ombre, de dilution, de parfum d’un vase vide. Il est ici à l’opposé d’un Chateaubriand et d’un Renan. Sa direction est au contraire celle d’un hyper-catholicisme, d’un catholicisme immodéré. Dans la préface de la Comédie, il renvoie le lecteur à la lettre de Louis Lambert « où le jeune philosophe mystique explique, à propos de la doctrine de Swedenborg comme il n’y a jamais eu qu’une même religion depuis l’origine du monde », et il appelle Séraphita « la doctrine en action du Bouddha chrétien ». La Comédie n’adopte pas ce christianisme moyen mis en faveur à la fois par Chateaubriand, par des « prêtres éclairés » et par l’éclectisme, mais au contraire un christianisme éternel, plus intense, un foyer brûlant, mystique et paradoxal des religions, centre d’où les aperçoit, les reconnaît et les classe le don de spécialité. Balzac ne dirait pas comme le vers de Voltaire que chacun dans sa foi cherche en paix la lumière, mais : que chacun dans sa foi jouisse de l’intégrale lumière. Dans sa foi et aussi dans son métier. Pour le maître en sciences sociales que se déclarait Balzac « le christianisme, et surtout le catholicisme, étant, comme je l’ai dit dans le Médecin de Campagne, un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme, est le plus grand élément d’Ordre social ».

L’ordre social ne fait qu’un avec l’ordre du monde, Balzac ne tient la religion pour une police que parce qu’il la tient d’abord pour une mystique. La Comédie Humaine est, elle aussi, et d’abord, une Divine Comédie. Balzac est plein de Dieu, avec bonne humeur et santé, spontanément, j’allais dire effrontément, parce qu’il est plein d’être. Il se connaît comme un passage de Dieu, dans son énergie créatrice, à travers une matière rebelle, non seulement à travers les passions, mais à travers une Passion. Balzac conviendrait avec Descartes que Dieu est d’abord Volonté, avec Bergson que Dieu n’agit pas facilement, que la vie, la pensée, la création, sont des pentes à remonter. Il n’y a pas de point de vue d’où la comédie humaine nous apparaisse plus intelligible que du point de vue de Dieu.

Aussi est-ce un grand contresens en matière de balzacisme que de prendre la Comédie Humaine par l’autre bout,