Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XII
GEORGE SAND
La fille de Rousseau.
Quand on lit Rousseau sur le grand chemin de la littérature française, et bien que l’auteur de la Nouvelle Héloïse ne soit guère romancier, et un peu parce qu’il ne l’est guère, on sent à quel point la révolution dont il est l’initiateur allait au roman. C’est lui qui a apporté la plus importante révélation littéraire des temps modernes, à savoir que tout homme — et mieux encore toute femme — a son roman dans le ventre, est gros ou grosse d’un roman.

Son roman… L’unité n’a pas ici un sens limitatif. Un aimable hasard a fait que Rousseau devînt ici le patron de la petite fille de sa patronne Mme Dupin. Fille spirituelle de Rousseau, justification posthume de Rousseau, Aurore Dupin, quand elle eut produit les deux romans d’autobiographie transposée, ou idéale, ou chimérique, dont elle était naturellement grosse, Lélia et Indiana (à la manière de la Nouvelle Héloïse), partit pour une vocation de romancière indéfinie, toucha et occupa la Terre promise, avec ses raisins énormes de Chanaan (mais les plus gros raisins ne font pas le meilleur vin), dont Rousseau avait eu sur la montagne le spectacle, l’illusion ou le désir.

La personne et l’œuvre.
George Sand déclarait elle-même qu’elle était « une bête ». Ce qu’elle dit, il ne faut jamais le prendre trop à la lettre. Mais le fait est que, douée d’une manière extraordinaire pour refléter, pour produire, pour mettre la vie en éloquence, en personnages et en histoires, elle manque d’esprit personnel, elle ne provoque pas le lecteur, surtout celui d’aujourd’hui, vers ses