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pensait devenait vers, tout ce que George Sand pense prend sans effort la forme de romans qui, sans qu’il y ait jamais un plan préconçu, entrepris toujours dans l’À Dieu vat ! de l’inspiration et du bon hasard, sont des romans ingénieux intéressants, d’une facture toujours variée, d’un intérêt maintenu selon les bonnes recettes (elle est née rôtisseuse et elle est devenue tout de suite cordon bleu), avec des lenteurs, des longueurs, un crédit de patience ouvert chez le lecteur, mais pas plus que dans Balzac et bien moins que dans Dumas. Dumas a-t-il écrit un roman plus verveux, d’une intrigue menée plus souplement, que les Beaux Messieurs de Bois-Doré ? Mauprat, le Marquis de Villemer n’ont pas été lus avec tant d’enthousiasme pour leur prédication sur le mariage, pour leur thèse, mais pour leur technique, qu’aujourd’hui encore on peut admirer, comme la charpente de châtaignier, la forêt des combles, dans un château abandonné.
Un roman abandonné.
Abandonné le roman s’est affaissé à cause du factice des personnages et surtout à cause du convenu des idées. Les personnages factices, dans George Sand, ce sont surtout les hommes. Les héros de ses romans ont encore moins de chance avec elle que ses amants. Quelquefois d’ailleurs ce sont les mêmes, par exemple dans les romans autobiographiques de Lucrezia-Floriani et d’Elle et lui, ou Karol est Chopin et Laurent Musset. Mais l’historien n’en retiendra guère l’un ni l’autre dans une biographie psychologique du musicien et du poète. Les femmes sont plus vivantes, et l’on trouvera par exemple dans Pauline un portrait féminin d’une grande finesse.

Lamartine disait : « Mes idées pensent pour moi. » George Sand pourrait dire que ses romans pensent pour elle. Mais quand ses romans pensent, ils oublient de vivre. Les romans socialistes comme le Compagnon du Tour de France et le Péché de M. Antoine ne sont plus supportables. Elle n’écrit plus alors ses romans dans l’atmosphère tropicale de l’exubérante poésie romantique, mais sur un sol ingrat, dans des corons d’idées pauvres, habités par Michel de Bourges et Ledru-Rollin. Pour échapper à cette fadeur, il lui faut émigrer ; le mysticisme historique, l’idéalisme wilhelm-meistérien de Consuelo et de la Comtesse de Rudolstadt révèlent encore toute