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Dumas-Maquet appartiennent bien à l’auteur des Mémoires et des Impressions de Voyage.

Eugène Sue.
Eugène Sue, qui avait été médecin de la marine, rapporta de ses voyages le roman maritime, qu’il créa (Atar-Gull est peut-être son chef-d’œuvre, dédié à Cooper, qu’il imita) et transmit à Edouard Corbière, père de Tristan. Son expérience de la vie lui a suggéré un bon roman, Mathilde, histoire intéressante et quasi-balzacienne d’une jeune femme. Des besoins d’argent lui firent écrire un roman-feuilleton, à titre d’essai et avec la gageure des plus étranges absurdités. Ce furent les Mystères de Paris dont la publication dans le Constitutionnel altéra toute la France d’une soif pantagruélique de suite au prochain numéro. Eugène Sue y adaptait Notre-Dame de Paris, avec ses tableaux truculents, ses anges et ses monstres, ses reconnaissances de mélodrame, au Paris moderne, de sorte que Hugo ne fera que reprendre son bien dans les Misérables. À ce moment se propageait l’agitation contre les jésuites. « Hommes noirs, d’où sortez-vous ? — Nous sortons de dessous terre », et Cousin avait dit à la tribune de la Chambre des Pairs : « Je me déclare l’adversaire de cette corporation : il m’en arrivera ce qui pourra ! » Eugène Sue écrivit dans le Juif Errant le roman de ce que pouvaient les jésuites, et qui était, comme on disait en 1830, ogival et catapultueux. Ce fut d’ailleurs le journal de la bourgeoisie éclairée, le Journal des Débats, qui publia en feuilleton le Juif Errant. Il est évident d’autre part qu’Eugène Sue savait fabriquer un roman, et que le génie de la suite au prochain numéro n’a jamais été poussé aussi loin depuis Schéhérazade. Mais si, dans Dumas-Maquet, nous continuons à être amusés par ce qu’ils écrivent, avec Eugène Sue nous ne nous amusons plus guère que de celui qui a écrit et de ceux qui, de numéro en numéro, l’ont suivi. Le Second Empire supprime en fait le roman-feuilleton, en établissant une taxe de cinq centimes par exemplaire sur tout journal qui en publie ; il reprend sous la Troisième République, où il occupe, toujours florissant, les bas-fonds de la littérature. Dumas et Sue ont marqué au moins dans la littérature en créant des types comme d’Artagnan et Gorenflot, Pipelet et Rodin, et l’influence des types de Sue sur ceux des Misérables est certaine.