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ce dogmatisme libéral (philosophie du sens commun, système des droits acquis, électorat-fonction du régime censitaire, droit éminent du Roi qui ne règne pas seulement, mais gouverne) s’incarne dans le parti des doctrinaires, dont Royer-Collard est le chef et l’orateur. Le duc de Broglie apporte à la Doctrine l’appui du libéralisme staélien et de l’esprit de Coppet. Guizot, qui a occupé dès 1814 une situation politique importante, et qui a suivi le roi à Gand, en est le publiciste et l’espoir. La Doctrine, ses principes, ses hommes arriveront au pouvoir en 1830, heure de ceux que M. Molé appelait les pédants et que Sainte-Beuve appelle les Régents.

Le dogmatisme libéral donnera, dans les domaines de l’histoire, de la philosophie et de la littérature, leur marque commune à l’esprit et à l’influence des régents. Cet esprit, cette influence, se transmettent par l’éloquence. Les trois régents sont des hommes éloquents. Dès 1816, la parole sous toutes ses formes prenait à Paris un admirable éclat qui rappelait les grandes années du XVIIe siècle. Salons brillants, neuve éloquence parlementaire, il était naturel qu’à défaut de la chaire chrétienne qui n’avait plus de grands orateurs, la chaire universitaire convoquât, charmât, gouvernât un public de toute classe et de tout âge. La chaire fut le moyen de propagande de la Doctrine. En 1830, elle parut ensevelie dans son triomphe, puisque les trois régents entrèrent dans les grandes fonctions et cessèrent de professer. Mais leur gouvernement fut une suite de leur professorat, et l’éloquence écrite continua l’éloquence parlée. De ce gouvernement et de cette éloquence nous n’avons à retenir que ce qui importe particulièrement aux lettres, et ce que l’histoire, la philosophie et la critique tiennent de Guizot, Cousin et Villemain.

Les Inventaires.
Poursuivant des desseins déjà commencés au XVIIIe siècle, les premières années du XIXe siècle et l’Empire ont été une période d’inventaires. Toute une littérature descriptive, illustrée parfois avec opulence (il y a dès 1798 une clientèle pour des publications de Didot qui engagent des frais énormes,) procède à un inventaire du passé et du présent de la France. Que fait le Génie du Christianisme, sinon donner un drapeau et une mystique a cet