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alors la renaissance de l’antiquité au XVIe siècle, a naturellement son contre-coup sur l’histoire autant et plus que sur la poésie. De Genève et de Coppet, soit de la maison mère, vient en 1809, l’Histoire des Républiques Italiennes du sagace, mais peu évocateur Sismondi. Et en 1811 Michaud publie l’Histoire des Croisades, écrite avec ferveur, mais conscience, d’après les sources dont il publie une partie dans la Bibliothèque des Croisades, et d’après les lieux qu’il a visités et agréablement décrits dans les sept volumes de la Correspondance d’Orient ; Michaud était d’ailleurs poète et, manière de cèdre de la Vallée aux Loups, ses Croisades poussent très exactement dans l’ombre du chevalier du Saint-Sépulcre, François René de Chateaubriand.

Ainsi se forment une histoire-discours et une histoire-chronique. Sous la Restauration apparaît en Guizot un véritable chef de l’histoire-discours, en Barante un chef de l’histoire-chronique, en Augustin Thierry un grand agent de liaison de ces deux histoires.

Guizot.
Calviniste nîmois, chassé de France à six ans par la Révolution qui a guillotiné son père, Guizot fit toutes ses études dans la ville du refuge, Genève. Écrivain dès l’adolescence (il devait vivre, et l’on vécut dans sa famille la plume aux doigts) il portait dès 1808 dans la littérature le pur esprit de Mme de Staël, et il était parti pour une carrière staélienne de critique littéraire européen, quand, en 1812, Royer-Collard lui proposa de lui faire donner par Fontanes la suppléance de Lacretelle dans la chaire d’histoire de la Sorbonne. « Mais je ne sais pas l’histoire, dit le jeune homme. — Justement, répondit M. Royer, vous l’apprendrez en l’enseignant ». C’est ce qu’il fit, et on le vit bien. Ce fut de l’histoire, comme on le remarquait encore en 1828, « sans faits, sans dates, sans noms ». Et Royer-Collard qui contrôla toujours avec une clairvoyance terrible les disciples qu’il avait émancipés, disait plus tard du ministre ce qui était déjà vrai de l’historien : « Ce qu’il a appris le matin, il semble le savoir de toute éternité ».

Seulement, il ne faut pas oublier que Guizot se levait très matin, et qu’il savait beaucoup. Il n’apprit pas seulement l’histoire en l’enseignant, mais en lisant un nombre considé-