Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
celle de la Révolution dont le premier volume paraît en 1847. Mais la même année, et d’un seul coup, sortent les huit volumes de l’Histoire des Girondins de Lamartine. Aucun autre livre d’histoire n’a connu ce succès immédiat, en coup de tonnerre. Il y a deux manières de juger l’Histoire des Girondins. Comme livre d’histoire, et alors son existence égale rigoureusement zéro. Ou bien comme intelligence et réalité de la Révolution qui continue, ou qui recommence. Et alors elle reste un livre considérable. Tocqueville, en 1848, était frappé de voir le peuple et les personnages politiques jouer les scènes de la Révolution comme des acteurs jouent la tragédie qu’ils ont apprise. L’Histoire des Girondins ce sont les rôles, la « brochure » comme ou dit au théâtre, de cette tragédie. À ce point de vue, elle fut « dynamique » comme les Provinciales. Si peu d’illusions que nous ayons sur sa valeur historique, elle reste un livre entraînant, elle appartient à ce flot infini d’éloquence que Lamartine avait laissé couler de la tribune. Dans ce foisonnement de formules, d’images et de portraits, aussi fréquemment que dans Michelet, on tombe sur des phrases ou des pages qu’a éclairées le passage du génie : « Je ne pense pas, mes idées pensent pour moi ». À ses risques et périls elles ont aussi raconté l’histoire pour lui, en attendant de la faire avec lui, et quoique aucun des deux métiers ne fût le leur.

La même année 1847, commençait à paraître la troisième des Histoires qui appelaient si impérieusement une nouvelle révolution, celle de Louis Blanc, auteur déjà du long pamphlet qu’était l’Histoire de dix Ans. L’Histoire des Girondins n’est pas girondine, mais l’Histoire de la Révolution de Blanc est absolument montagnarde : elle avance comme une marche à la montagne, d’une ardente conviction, d’un grand style, mais déclamatoire et démodé. De cette histoire, et de toute une littérature de gauche et d’extrême gauche, parmi laquelle il faudrait citer le Napoléon anti-bonapartiste de Lanfrey, sortent plus ou moins en filets souterrains, des sources pérennes d’idéalisme et de mystique républicains, qui reparaîtront à la lumière vingt ans après 1848, donneront sa mystique au radicalisme de la Troisième République.