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Conscripti des deux grandes familles de Patres autochtones, les Arnauld et les Pascal. À Port-Royal la littérature française contracte son poids de sérieux, elle concerne les problèmes fondamentaux et dramatiques de la nature humaine, elle porte dans ses plateaux de balance les grands enjeux religieux et moraux. Inversement la religion entre en liaison avec les intérêts de la langue et de la littérature. De Port-Royal, la littérature française apparaît comme un champ de bataille d’idées sur la nature humaine, ce qu’elle est restée au XVIIIe siècle, ce qui se voit encore dans le romantisme, cela même que la nature de moraliste de Sainte-Beuve y a incessamment cherché, en a incessamment dégagé. Il suffit d’ailleurs de suivre son histoire intérieure de 1830 à 1840 pour le sentir porté vers Port-Royal, et pour connaître que l’auteur de Volupté avait son problème de Port-Royal en lui.

Au retour de Lausanne il s’établit dans le siècle. La bibliothèque Mazarine dont il est nommé conservateur, lui fournit un canonicat dans les livres. Les deux premiers volumes de Port-Royal et l’amitié de Mme Récamier le font entrer à l’Académie. En achevant le Port-Royal et en écrivant un second Port-Royal sur une autre période littéraire, s’il s’en trouvait une qui fût digne d’équilibrer celle-là, Sainte-Beuve n’allait-il pas réaliser avec sagesse et maturité le double monument de l’histoire littéraire française, son Massif Central et son Bassin Parisien ?

Les Lundis.
Nous oserons à peine dire que les révolutions en disposèrent autrement. Simplement elles l’obligèrent à un détour.

Onze ans après l’hégire à Lausanne, la Révolution de 1848 provoque, ou Sainte-Beuve croit qu’elle doit provoquer, l’hégire à Liège. Peu s’en est fallu que son cours de 1848-1849 à Liège ne lui donnât, comme celui de 1837, l’occasion d’un grand tableau de la vie littéraire de la France, cette fois au temps de Chateaubriand, de 1800 à 1848, soit l’histoire des générations préromantique et romantique, reprise, revécue, expliquée des templa serena de l’étranger par un homme qui en avait connu longuement les acteurs et les œuvres, un Port-Royal du XIXe siècle et du romantisme. Il n’en sortit apparemment que l’amorce inachevée de Chateaubriand et son groupe littéraire.