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et les philosophes de tribune, perdent la France. » Sainte-Beuve, qu’ils avaient relégué au second plan, prend, sous le Second Empire, une revanche d’observateur critique et de naturaliste des esprits, contre ces phraseurs et philosophes de tribune. Surtout il fait école auprès des jeunes gens qui réagissent contre la phrase et la tribune, les Taine et les Renan.

Mais cette réaction contre l’équipe des professeurs est œuvre de nouveaux scolaires et nullement d’anti-scolaires. La génération qui a vingt ans en 1850 sort des mains de ces professeurs. Elle a fait de bien meilleures études que la génération romantique, laquelle avait reçu, dans les premières années du Consulat et de l’Empire, une éducation de pièces et de morceaux « confus mélange, dit Sainte-Beuve, où les restes des anciennes connaissances s’amalgamaient à des fragments de préceptes, débris incohérents de tous les naufrages ; on faisait la liaison tant bien que mal, moyennant une veine de phraséologie philosophique et philanthropique à l’ordre du jour ». Avant de former des élèves il avait fallu que l’Université de Fontanes formât des maîtres. C’est seulement à partir de 1825 que les collèges, les séminaires aussi (réorganisés par l’Église en même temps que l’Université par l’État) donnent à l’ensemble de la jeunesse une forte formation humaniste, meilleure encore qu’avant la Révolution, et qui durera tout le XIXe siècle.

La génération qui en bénéficie est dès lors celle qui naît vers 1830 et qui a vingt ans en 1850. Elle ne ressemble pas à la génération des grands autodidactes romantiques. Elle a eu non des maîtres de hasard, mais des équipes de maîtres. La monarchie des professeurs, le régiment de Cousin, ont élevé des remplaçants et des adversaires. Quand la révolution naturelle des âges et la révolution politique coïncident pour amener, à la lumière, vers 1850, la nouvelle génération active, il est naturel que de fortes et vivantes parties de cette génération se trouvent dans les rangs de la jeunesse normalienne. L’École Normale n’était-elle pas la fille aînée de l’Église laïque des Régents, le séminaire de la cléricature cousinienne ? L’importance de la grande, de l’unique génération normalienne de 1848-1850 vient de là. C’est la grande génération des élèves qui passe, comme sur un pont, sur la génération des grands professeurs.