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IV
BAUDELAIRE
La poésie héroïque
et poésie intérieure
.
La poésie romantique est une poésie héroique et le poète romantique cultive les attitudes héroïques, le décor héroïque. Il vit sinon dans un perpétuel contentement et une perpétuelle présentation noble de lui-même, du moins dans les conditions, les responsabilités et les exigences de sa gloire. Lamartine et Victor Hugo prennent assez ordinairement l’attitude d’un monument à sculpter sur leur tombeau, et ce sont, comme leur père Chateaubriand, des artistes en destinée, en leur propre destinée. Il en va de même, au fond, d’Alfred de Vigny et d’Alfred de Musset, qui ont besoin d’amours illustres, expriment leurs peines et leurs dégoûts par des proclamations oratoires comme Rolla et Chatterton. Leurs misères sont misères sinon de rois dépossédés, du moins d’orateurs réduits au silence. Quand Chateaubriand déclarait qu’il était las de tout et qu’il ne demandait qu’une cellule pour y finir sa vie, un ami murmura : « Oui, une cellule sur un théâtre ». C’est assez le caractère de la cellule romantique, s’appelât-elle la Maison du Berger.

Mais à ce déversement du poète vers l’extérieur s’opposera, chez d’autres natures poétiques, une conversion du poète vers l’intérieur ; à ce sentiment de la grandeur une conscience de la misère ; à cet illusionnisme de magnificence, un réalisme du vice et du péché ; à l’instrument éclatant sur lequel une peau sonore est tendue, ce cœur ténébreux de l’homme, qui, selon l’expression de Pascal, est creux et plein d’ordure ; à la cellule sur un théâtre un confessionnal