Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des idées de Taine. Il est visible qu’ici il se bat contre lui-même, que l’artiste porte avec mauvaise conscience et contrôle avec défiance sa culture d’école, qu’il ne tombe jamais plus entièrement dans le cercle de l’esprit et de la culture classique, sous leur forme rationnelle, constructive et oratoire, que lorsqu’il s’imagine les fuir. Il a trouvé dans les Origines le sujet qui convenait le mieux à un génie d’artiste classique : des portraits à faire ou plutôt à construire. Ses portraits des philosophes du XVIIIe siècle, des hommes de la Révolution et de Napoléon sont d’étonnantes bâtisses, les seules pages sans doute qui nous montrent ce que peut donner Balzac jeté dans le moule classique des Latins et du XVIIIe siècle : des idées à colorer, un discours à développer, et, pour échauffer ce discours, une passion où sont fondues la passion politique du bourgeois et la passion privée du bourgeois, presque du propriétaire : incomparable source de vie !

C’est surtout par l’immense influence des Origines que Taine continua sa présence. Il a fourni une conscience, une idéologie, des images à tous les partis de droite. Barrès et Maurras sortent en partie des Origines de la France contemporaine. Depuis un demi-siècle, cet ouvrage ne cesse de trouver un public ; il reste le grand livre de la réaction française. Au contraire de l’historien philosophe, le philosophe pur a cessé d’agir, l’historien de la littérature est dépassé, les théories du critique ont vieilli. Mais replacé dans l’histoire des idées Taine tient une place considérable : une place même au sens urbain du mot, carrefour de voies, lieu d’orientation, espaces découverts, portiques d’idées générales, escaliers monumentaux entre les diverses disciplines.