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soit le drame chrétien après la Révolution, comme Port-Royal était le drame chrétien de l’Ancien Régime.

Renan a été formé, presque déposé, naturellement, délicatement, par un des pays religieux les plus purs du monde, le Trégorrois, avec ses chapelles, ses cultes particuliers, ses fontaines sacrées, ses saints bretons, ignorés de Rome, parmi lesquels il y a un Saint-Renan, et cette capitale cléricale qui est Tréguier, peuplée de bons prêtres (« Je n’ai jamais connu que de bons prêtres » a dit Renan avec peut-être un coup d’œil complaisant vers le miroir qui lui en renvoyait un). Un hasard guetté ou provoqué par l’affection attentive de sa sœur Henriette fait passer à quinze ans, en 1838, ce futur prêtre de Tréguier dans le séminaire parisien que dirige le grand animateur Dupanloup, puis à Saint-Sulpice. C’est alors que la philologie et la critique des textes bibliques l’enlèvent à l’Église. De 1845 à 1848, dans le cerveau du jeune Breton jouent trois plaques tournantes, dont les mouvements coïncident avec des mouvements capitaux du siècle.

Le Clerc philologue.
D’abord un mouvement en accord avec un mouvement allemand contemporain : la philologie, qui sort du cabinet du spécialiste pour devenir une discipline éducatrice, une mesure du vrai et du faux, une vocation de probité et de conscience intellectuelle, une critique. La critique de Sainte-Beuve a été formée par l’humanisme. Celle de Renan qui, dans d’autres domaines moraux, va aussi loin, est formée par la philologie. Taine, de son côté, installe une critique fondée sur la philosophie. Nous sommes ici en pleine révolution non du goût, mais de l’esprit critique.
Le Clerc laïque.
Ensuite une transformation, une laïcisation de la Cléricature. Renan a appelé son cerveau une cathédrale désaffectée. Des habitudes contractées dans l’Église, la vie pour l’esprit devenue une mission, le service de Dieu élargi, assoupli, mobilisé, comme l’est d’ailleurs chez Renan la conception de Dieu, les mots et les idées d’une religion millénaire, remplissant, rafraîchissant, poétisant une critique moderne, voltairienne, une religion ductile qui devient mythe, comme chez Platon, sous des doigts d’artiste, le christianisme mis en liaison avec la science comme Cha-