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son genre de vie, ses talents et ses œuvres, peut être tenu pour l’ancêtre, d’ailleurs reconnu et considéré, des réalistes de 1850.

Comme le roman imaginatif de la génération précédente n’a eu qu’un prince, Balzac, le roman réaliste de 1850 n’en a qu’un, Flaubert. L’entourage est moins puissant que chez les Vingt ans en 1820, mais ces romanciers nous ont communiqué et nous avons gardé, à l’égard des petits réalistes, certains préjugés de classe. D’un côté sont les bohèmes ou anciens bohèmes, enfants du peuple, Murger, Champfleury, Duranty. De l’autre les grands bourgeois, les Goncourt et Flaubert. Les deux classes se dénigraient, se méprisaient, (car Flaubert en était, de sa classe !) Et MM. Huot de Goncourt aussi. On distinguera donc un réalisme populaire premier dans l’ordre du temps, et un réalisme de bourgeois, (réalisme bourgeois prêterait à l’équivoque), premier dans l’ordre d’importance.

Le mouvement réaliste, qui a un ancêtre dans la génération précédente avec Henry Monnier, naît après 1845, dans un milieu d’écrivains et d’artistes pauvres (dont Courbet). Ils écrivent dans les petits journaux et vont au café. Le premier caractère rappelle les Jeunes-France de 1830, et le dernier les décadents de 1885.

Murger.
Le premier en date des réalistes est Henri Murger qui, précisément, a donné dans les Scènes de la Vie de Bohème le tableau le plus célèbre de ce milieu. C’était le fils d’un concierge de Paris. Il avait au collège fait juste assez d’études pour apprendre la syntaxe et pour se sentir une vocation littéraire. Ses romans sentent d’ailleurs une loge de la rue Montmartre, les journaux et lettres des locataires. Mais il aimait causer, écrire ce qu’il avait dit, comme il avait dit, d’ailleurs assez péniblement ; il avait le sens de la reproduction, comme un bon expéditionnaire, et l’humour réaliste de la rue de Paris. Un petit journal pittoresquement écrit et nommé le Corsaire Satan, où débutent presque tous les écrivains de cette école, (et même Baudelaire) entre 1847 et 1849, publia d’abord les Scènes de la Vie de Bohème et les Scènes de la Vie de Jeunesse qui parurent ensuite en volume en 1851. Ce sont des livres réalistes parce que tous les per-