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l’immense machinerie, dit l’arbre généalogique d’une famille dont les personnages fourniront les principaux héros des vingt romans : les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, au nombre de trente-deux ; un millier de personnages environ composait, sous cette famille-souche, le peuple des personnages secondaires dans cette roman-cité. Enfin l’œuvre de Balzac était plus intuitive que scientifique. Il se souciait peu d’être accordé à la science de son temps. Or c’est la science qui fournira aux Rougon-Macquart leur idée maîtresse, soit Taine l’idée de déterminisme, Claude Bernard celle de la pratique expérimentale (le Roman expérimental, ce fut une des affiches voyantes de Zola), Darwin et le docteur Lucas celle de l’hérédité.

Voilà une construction considérable, menée à bout avec une volonté solide et un talent énorme. Mais ce roman du Second Empire fut un peu à la Comédie Humaine ce que la monarchie du neveu fut à l’empire de l’oncle.

Le plan des Rougon-Macquart était fait, le premier volume écrit (la Fortune des Rougon) quand l’empire croula. La Fortune des Rougon ne parut qu’en 1871, et la Famille sous le Second Empire parut sous la Troisième République. Zola n’avait aucune raison d’abandonner son plan : un romancier n’est pas un chroniqueur, il a besoin, pour bâtir, d’une durée consolidée, et la Comédie Humaine, écrite sous la monarchie de Juillet, se passe, pour plus de la moitié, sous la Restauration. Et puis c’était bien, en 1871, la même génération qui continuait, et les Rougon-Macquart ne commencèrent que vers 1885 à devenir le roman historique d’une époque révolue. Zola écrit même, dans sa préface de 1871, ces lignes, d’une ingéniosité qui lui est moins habituelle que l’ingénuité : « La chute de Bonaparte, dont j’avais besoin comme artiste, et que toujours je trouvais fatalement au bout de mon drame sans oser l’espérer si prochaine, est venue me donner le dénouement terrible et nécessaire de mon œuvre. »

Ce n’est d’ailleurs pas inexact. Les Rougon-Macquart dont l’arbre généalogique monte d’Adélaïde Fouque, morte centenaire et folle en 1873, est le tableau d’une famille, d’une société, d’une humanité qui se défont, se développent, se vicient, s’empoisonnent, le procès-verbal d’une décomposition, et, au