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Autres « Médaniens ».
Les medaniens moyens ont sensiblement le même age en 1880 ; trente ans, soit tous dix ans de moins que Zola. Maupassant, comme Zola lui-même, reste à part, dépasse les formules ; et sa filiation de Croisset importe plus que ses promenades à Médan. Au contraire Huysmans, Céard, Hennique et Alexis font une équipe naturaliste fort homogène. Chez eux le naturalisme consiste moins dans l’observation de la peinture de la réalité, que dans la haine de la réalité, — donc dans une vision caricaturale, commandée par un pessimisme radical, — et dans la peinture exclusive de personnages grotesques, minables ou miteux, qui est surtout réussie lorsque les personnages sont des doubles de l’auteur, comme c’est le cas pour Huysmans. Le livre sacré de cette équipe, et qui parut en revue, inachevé, l’année même des Soirées de Médan, c’est Bouvard et Pécuchet.
Huysmans.
Par un côté Huysmans dépasse Médan, ajoute une note singulière. Comme Zola il a un style à lui, très supérieur et même opposé à celui de Zola par sa recherche de l’expression nouvelle, par une horreur des clichés qui fait corps avec l’horreur des naturalistes pour la réalité, par une manière d’élever à un procédé d’humour transcendant ce que les Goncourt appelaient l’écriture artiste, de lui ôter son pédantisme en lui ôtant son sérieux. Les Goncourt ne parodient jamais la réalité qu’ils déforment, Huysmans s’avance dans une parodie continuelle, et d’abord de lui-même.

Sauvé par un style parodique et succulent, Huysmans l’a été en outre, sur terre déjà, par sa conversion. Certes, dans Huysmans chercheur, la sincérité religieuse et la fabrication littéraire sont imbriquées au point que lui-même ne savait certainement pas les distinguer. Mais enfin, pour Huysmans comme pour Zola, le produit net reste un En Route (c’est le titre d’un de ses livres). L’En route de Huysmans est chrétien, l’En route de Zola est démocratique et social. La mystique du Latin et celle du Flamand étaient radicalement opposées, mais chez tous deux le naturalisme, vivant par quelque poésie, n’était utilisé que pour être dépaysé.

Huysmans est-il en outre sauvé par le contenu de ce qu’on