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sujet de Diane de Lys, de la Femme de Claude, de l’Étrangère, même des Idées de Madame Aubray.

Les frontières du monde, les éléments passagers et brillants de la société parisienne ont eu leur peintre en Dumas. Il prétendit qu’ils eussent aussi en lui leur moraliste, leur prédicateur ; avec un mélange de pédantisme rogue, de prophétisme extravagant, de rouerie d’homme d’affaires, il réclama pour l’auteur dramatique la succession du directeur de conscience chez les dévotes du XVIIIe siècle, celle du philosophe domestique chez les patriciens romains. De là sa pièce à thèse, allongée et commentée par les explications et les vaticinations des préfaces. Comme la pièce réelle sinon réaliste qu’est la Dame aux Camélias, était née en même temps que le roman réel de Murger, la pièce à thèse de Dumas naît en même temps que le roman à thèse de Feuillet. Il y a entre eux cette différence que les thèses de Feuillet portent sur des questions morales (Sibylle, Camors) qui se posent pour les individus dans une société dont la forme et les cadres sont donnés, tandis que les thèses de Dumas concernent des questions familiales et sociales dans une société dont les cadres mal faits sont à élargir ou à consolider, à rectifier ou à refaire : problèmes du mariage (Denise, Francillon) problèmes des enfants naturels (Le Fils naturel) problèmes de la condition féminine (Monsieur Alphonse), problèmes même du lit conjugal (l’Ami des Femmes). La pièce à thèse devient naturellement, par ses idées, une pièce dont on parle et qu’on discute à la ville. Elle étend le domaine du théâtre, dans une direction où il a toujours regardé — et après tout Tartuffe et les Femmes Savantes sont des pièces à thèse. Mais la forme artificielle et artificieuse que la pièce à thèse prend chez Dumas, les changements subis ensuite par les cadres sociaux, ont contribué à démoder la chose et le mot. Le théâtre de Dumas s’en va vers l’oubli.

2° Augier.
Plus vite peut-être que celui d’Émile Augier, dont le tempérament est cependant moins curieux et moins créateur. Dumas avait créé la pièce moderne. C’est lui, et non un autre, qui a soustrait la scène à Scribe. Il a su emprunter un ou deux personnages à des contemporains, il ne leur a pas emprunté sa technique, sa science