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de Monsieur Alphonse). Un style : Augier a le meilleur style courant de théâtre qu’on écrive de son temps ; le contraire d’un poète, mais un écrivain, même dans ses pièces en vers, et une rondeur à la Molière. Une action : le moment de crise, à la manière classique, la crise de ménage et de famille, préparée et commandée par le milieu, par le passé, mais qui éclate rapide, précise, avec le rebondissement à la Scribe exactement placé. Des mots qui restent, et la scène principale, pivot de la pièce, ayant elle-même pour pivot un mot par exemple le Va te battre dont l’effet est évidemment épuisé, mais qui, le soir de la première, enleva la salle jusqu’alors résistante, et déclancha le triomphe.

Le Gendre de M. Poirier était tiré d’un roman écrit par un contemporain de Balzac. Alors que les pièces de Dumas n’ont plus de rapport avec le roman de Balzac et rentrent dans un système de références Feuillet-Flaubert, Augier, de tempérament dramatique plus traditionnel, s’efforce avec plus ou moins de succès de transporter à la Comédie Française une manière de Comédie Humaine. D’abord en installant en plein son théâtre dans cette question d’argent, sur laquelle Dumas a écrit une pièce remarquablement manquée, dont il ne reste qu’un mot, la définition des « affaires » : l’argent des autres. Augier lui consacre la Ceinture Dorée, Maître Guérin et il est peu de ses pièces où le problème de l’argent, des manieurs d’argent, de l’aristocratie d’argent, ne fasse la substance de sa critique sociale, critique d’ailleurs facile et que ce bourgeois bourgeoisant n’exploite pas sans un certain pharisaïsme. Même pharisaïsme dans le Mariage d’Olympe et les Lionnes pauvres, où la courtisane et la femme plus ou moins galante, sont flétries avec des véhémences oratoires et autres, à la manière des Filles de Marbre. Il n’en reste rien. Et nulle part n’apparaît mieux le faux bonhomme, le champion mal qualifié de la moralité politique, le « gars Augier » dont Flaubert avait horreur, qui se vantait de n’avoir jamais mis le nez dans ce bouquin : la Bible.

La meilleure part de la comédie d’Augier est sa contribution à la comédie politique, les Effrontés et le Fils de Giboyer, deux pièces dont la première au moins est son chef-d’œuvre, avec le Gendre de M. Poirier. Mais tandis que le Gendre de M. Poirier