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L’histoire de ce dialogue, à partir de 1885, entre pères et enfants, mériterait un livre. La même année 1889, qui est celle de l’une des Expositions Universelles où tous les onze ans, de 1855 à 1900, il semble qu’on ait voulu marquer le pli d’un tiers déjà appréciable de génération, paraissent, coïncidence instructive, l’Avenir de la Science, pensées de 1848, de Renan, l’Essai sur les données immédiates de la conscience de Bergson, et le Disciple de Paul Bourget.

L’Avenir de la Science n’est un livre nouveau qu’en librairie. Conservé en manuscrit, il avait été écrit par Renan en 1848, à Paris, soit à l’âge même où Bergson à Clermont, en 1887, écrivait la thèse qui fit le chemin qu’on sait : vingt-huit ans. L’intervalle des deux livres, quarante ans, est le même que celui qui sépare les Philosophes français de Taine du cours cousinien de 1817. Les dialogues entre générations de philosophes sont articulés dans le temps comme Platon les eût articulés dans l’espace.

Les Philosophes français étaient d’ailleurs un livre d’attaque directe et personnelle. Rien de cela dans l’Essai, simplement un non ferme et discret de la psychologie et de la philosophie au système de valeurs que leur avait appliqué l’Intelligence de Taine, soit à l’analyse externe et à la synthèse idéologique ; ce qui n’aurait pour l’historien de la littérature que peu d’importance, si cette réaction de philosophe ne faisait figure de signe ou de symbole sur un mouvement qui se retrouve alors partout. Quelques mois après la mort de Renan, un article de Brunetière, Après une Visite au Vatican, déclanche une immense bataille sur la valeur de la science, et l’extrême pauvreté de cet article montre bien que cette agitation n’était due qu’à la maturité, à l’actualité du problème, à l’heure à laquelle on le posait, et nullement à la personnalité si peu compétente qui le posait. Berthelot, manière de coauteur avec Renan de l’Avenir de la Science (puisque ce livre est le procès-verbal de leurs conversations de 1848) descend, vieil athlète, dans l’arène, précisément avec l’esprit et les arguments démodés de la jeunesse de 1848.

Or Brunetière et Bourget avaient été camarades de jeunesse et de pensée comme Renan et Berthelot. Ils approchent de la quarantaine en 1889, et n’appartiennent pas précisé-