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miré le dessein de Chéops passant sa vie à faire élever, sa pyramide. Il voulut, pour lui, de même, un tombeau monumental. La Muse de sa destinée le menait naturellement et noblement vers cette stylisation dont il accrut, en la voulant posthume, le caractère pharaonique.

Les Mémoires d’outre-tombe ne doivent pas se séparer d’un vaste ensemble autobiographique, dont une partie est publiée par Chateaubriand de son vivant. D’abord les récits de voyage qui eux-mêmes tiennent dans l’œuvre de Chateaubriand une place plus grande que ne l’indiqueraient les volumes qui leur sont expressément consacrés. Il a détaché une bonne partie des tableaux du voyage d’Amérique pour les placer dans l’Essai sur les Révolutions, les Natchez, Atala, René, le Génie. L’Itinéraire ne garde que les pages de son voyage qui n’ont pas été utilisées dans les Martyrs. De son voyage d’Italie, il a coupé le plus beau morceau pour en faire la Lettre à Fontanes sur la campagne de Rome. D’autres fragments ont passé dans les Mémoires. Inversement le Voyage d’Italie contient des lettres de voyage redemandées à Joubert. Il ne faut pas oublier que les procédés de composition de Chateaubriand étaient d’un mosaïste et d’un arrangeur. L’Itinéraire tel qu’il a été publié est un livre agréable, où il y a une cinquantaine de pages admirables, qui pourraient servir à définir le paysage historique moderne, et, surtout en ce qui concerne la Terre Sainte, du remplissage et du factice. Chateaubriand s’est ennuyé dans ce voyage, corvée littéraire pour son épopée et pour sa gloire, et qu’il avait hâte de terminer par la rencontre que la romanesque Mme de Mouchy lui avait fixée à Grenade. Il allait chercher dit-il « de la gloire pour se faire aimer ». Pour employer l’expression qu’il applique à un autre, il faisait au Saint-Sépulcre ses remontes de littérature et ses provisions d’amour. C’était bien, mais il s’en fit armer chevalier, en outre. Y avait-il de quoi ? Pareillement son tableau de la plaine de Sparte est un des plus beaux de l’Itinéraire. Mais il croit devoir y pousser fortement le cri « Léonidas ! » auquel il admire que personne ne réponde. « C’est peut-être sublime, dit Jules Lemaître. Mais si ce n’était pas sublime ? » Nous arrondissons ce point d’interrogation devant plusieurs visages de ce voyage stylisé.

On joindra pareillement aux Mémoires d’outre-tombe les