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III
LE ROMAN
(Suite)

Sans laisser et imposer de présence isolée comme celles de Balzac et de Flaubert, cette génération à mi-côte, et bien exposée, se distingue d’ailleurs par une production abondante et soutenue, des expériences variées, une aptitude à remplir tous les cadres, à adapter la forme romanesque à toutes les natures d’idées, de messages ou d’influences. Renan dans Patrice, Taine dans Étienne Mayran, s’étaient sentis mal à l’aise et peu originaux dans la fiction, et avaient laissé leur roman autobiographique inachevé. Au contraire leurs successeurs s’y installent avec une souplesse parfaite. Toute source d’idées coule à un moment donné dans le lit facile de la fiction, du mythe. Renan a ses épigones en France ou Lemaître, Taine en Bourget ou Rod. La littérature va au roman, en entraînant ses produits de démolition, comme le fleuve à la mer. On songe à ce qui, dans l’âge précédent, s’était produit en poésie, quand les épigones parnassiens mettaient n’importe qui à même d’exprimer n’importe quoi en quatrains ou en sonnets.

Le bénéfice a été cependant bien plus grand pour le roman que pour la poésie. Grâce au roman autobiographique (Vallès ou Fromentin) d’une part, au roman naturaliste d’autre part, cette génération paraît être la première qui ait réalisé le caractère universel du roman, et que tout le monde a en lui-même et autour de lui des sujets de roman. Cet état d’esprit est peu favorable évidemment à la naissance d’un Balzac