Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/487

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces couleurs, ces taches pourpres et roses, mordorées et rouillées (dans l’inventaire de son mobilier de jeune marié nous trouvons un Monticelli) voilà les vêtements dans l’armoire magique. L’amour s’en habillera l’année d’après avec la Bonne Chanson. Reconquête obscure alors ignorée par tous, peut-être même par l’auteur, du cœur poétique de la France ! Mais XVIIIe siècle galant, jeune amour, c’est encore l’appui sur quelque matière, d’où, au cours de l’exode avec Rimbaud, le poète s’évade en 1874 par les Romances sans Paroles, point le plus haut de la fusée verlainienne. La poésie se dénude et se dissout dans l’éther. Après les Romances, faudra-t-il dire ce que nous dirons après les Illuminations que le jet d’eau qui montait n’est pas redescendu ?

Non. Car voici que Verlaine devient un grand poète catholique. Verlaine est ici à Baudelaire ce que Baudelaire était à Chateaubriand ou à Lamartine. Christianisme décoratif d’artiste chez les romantiques ; christianisme janséniste d’un descendant de Racine chez Baudelaire ; mais, avec Verlaine, c’est le christianisme populaire du païen évangélisé par saint Martin, et que l’apôtre des Gaules a transmis, par les siècles fidèles, au curé de paroisse ou à l’aumônier de prison. La poésie chrétienne de Verlaine, il ne la veut et ne la sent pas seulement chrétienne, mais catholique, française, cléricale, la poésie d’un pauvre diable de baptisé et de converti, poésie que le calvinisme et le jansénisme repousseraient absolument. Un biographe de Verlaine, ayant été se documenter auprès du prêtre qui l’assista à sa mort n’en reçut, avec les banalités de politesse, que cette réponse : « C’était un chrétien, Monsieur. » Sinon avec la même autorité, au moins du même fonds, nous dirons : C’est un poète chrétien.

Poésie pure, poésie populaire, poésie chrétienne : par ces trois pas, faits alors dans une ombre absolue, sans public, Verlaine, parti du Parnasse, s’avance pour ouvrir les écluses de la poésie qui vient, et qui enveloppera le Parnasse, sans d’ailleurs le submerger, lui ajoutant même des sédiments inattendus, que représenterait peut-être la poésie de Mallarmé.

Mallarmé.
Verlaine nie l’art du Parnasse, Mallarmé le contourne, le transpose ou le transfigure. Lui aussi marche à la conquête de la poésie pure, mais ne pensons plus