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I
LA GÉNÉRATION DE 1914
La génération mutilée.
Même si la guerre de 1914 n’avait pas eu lieu, cette année aurait marqué la date d’une génération neuve, et Vingt ans en 1914 aurait dans l’histoire littéraire un sens, comme Vingt ans en 1820. D’ailleurs, plutôt que : « Même si » il nous faudrait dire : « Encore mieux si ». La guerre a pu donner aux Vingt ans en 1914 des traits positifs importants. Mais surtout hélas, elle leur a retiré de l’être, leur a substitué une place vide La génération de 1914 est, dans une large proportion, la génération absente, mutilée, bien plus encore que celle des Vingt ans en 1870. Son grand homme, son tombeau sous l’Arc, est le grand écrivain inconnu.

Si elle avait pu jouer, à cadres pleins, son rôle normal, il y avait des chances pour qu’elle formât une très belle équipe, comparable à celle de 1820. Vingt ans en 1914, cela répondait à un tournant.

Synchronismes historiques.
On notera d’abord que les toutes premières annees du XIXe siècle correspondent à une triple évolution politique : l’affaire Dreyfus, qui n’a pas laissé la France comme elle l’a trouvée — l’affermissement de la République, après un troisième assaut qui a échoué — la formation définitive, après l’accord de 1904, des blocs d’alliances d’où la guerre européenne est sortie. De 1898 à 1905 on a doublé le cap d’un monde politique nouveau.

Mais nous ne le noterons que pour mémoire et à titre de synchronismes. En matière littéraire, ces faits d’ordre politique fonctionnent et influent impondérablement. D’autres événements intéressent plus directement notre lecteur.