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biens nationaux, sur George Sand les théories socialistes, sur Lamartine et Hugo les révolutions de la rue, sur Flaubert l’évolution de la bourgeoisie, sur Zola la physiologie de manuel, sur les Parnassiens et France les bibliothèques, sur le symbolisme la musique. Mais quand Balzac se préoccupe des chemins de fer, c’est pour écrire avant qu’il soit trop tard le roman des diligences (voir le commencement d’Un Début dans la Vie). Flaubert avait vingt-cinq ans lorsque le chemin de fer de Rouen à Paris changea la vie des Rouennais, à commencer par la sienne, or le chemin de fer est absent de ses romans, où l’on ne voyage qu’en diligence et en bateau. Et, après tout, pour l’usager, le chemin de fer n’est qu’une file de grandes et rapides diligences. Quoi qu’il en soit, la littérature est passée à travers les révolutions techniques, sans guère se soucier d’autres techniques que des siennes propres.

Les inventions du XXe siècle sont différentes de celles du XIXe siècle. Les premières donnaient à l’homme des moyens mécaniques nouveaux, les secondes lui donnent des moyens sensoriels nouveaux. Les premières ont transformé la planète, la société, la production, la consommation. Les secondes ont transformé les pouvoirs du corps humain.

Il y a entre les techniques du XIXe siècle et celles du XXe siècle les mêmes différences qu’entre le chemin de fer et l’automobile, ou plutôt entre les deux systèmes de force motrice qui sont à la source de l’un et de l’autre : la machine à vapeur et le moteur à explosion. Si le chemin de fer a donné à l’esprit de l’homme de nouvelles habitudes, l’automobile, entrée dans les mœurs les plus communes avec la génération de 1914, a donné au corps humain des réflexes nouveaux. Le chemin de fer appartient à l’ordre de la machine, mais l’automobile succède à la bicyclette dans l’ordre des outils. Le chemin de fer est un moyen de transport, l’automobile est ou devient un instrument de sport. Et l’automobile ne fonctionne ici que comme un point de départ et presque un symbole élémentaire bien dépassé. L’aviation donne mieux encore un nouveau pouvoir au corps humain, le cinéma à l’œil, la radiophonie à l’oreille.

Et il va de soi que ces modifications physiques concernent surtout les individus jeunes, c’est-à-dire ceux qui n’ont rien