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VII
MADAME DE STAËL
L’École des Salons.
La mère de Madame de Staël, Suzanne Curchod était reputée la jeune fille la plus accomplie du pays de Vaud, ce qui lui avait valu, comme à la bergère des contes, d’être épousée sans fortune par l’opulent banquier genevois qui la fit Mme Necker. Par volonté, réflexion, application et bon sens elle avait réussi, à peu de chose près, à devenir Parisienne, et à tenir, dans l’hôtel du banquier, près du contrôleur général, un salon fameux, le plus sérieux, le plus fréquenté par les gens de lettres. Institutrice, elle fit des Necker une famille pédagogique. Contre l’usage français, la petite Germaine se tenait assise sur un tabouret dans le salon du contrôleur général, et profitait. Elle vécut dès l’âge de dix ans dans le cercle des grands hommes et des grandes idées. Par exception, cela réussit. Y ayant débuté comme enfant de troupe, elle fut pendant un quart de siècle le général en chef ou le Napoléon de la vie des salons. Sur les leurs les dames du XVIIIe siècle avaient régné par l’esprit. La première, Mme de Staël régna sur le sien par le génie mais un génie qu’elle en tirait comme le ciel tire de la terre les pluies qu’il lui renvoie.

Tous les livres de Mme de Staël ont été causés avant d’être écrits. Personne plus qu’elle ne s’est inspiré d’autrui, et cependant le problème de ses « sources » ne se posera jamais, car elles sont remplacées par des filets innombrables, par une eau à fleur de terre, par le reflet des hommes et le passage de leurs propos.

La Révolution était dirigée contre la tyrannie, les classes