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Les collèges sacerdotaux n’avaient à peu près aucun pouvoir politique dans les cités antiques. Le mot comme la chose de théocratie répugne absolument à la langue grecque et à l’État grec. Le Thesaurus d’Estienne ne cite qu’un exemple du mot Θεοϰρατία (Theokratia), employé pour la première fois par l’historien Josèphe dans son livre contre Apion lorsqu’il veut exprimer en un terme grec le caractère essentiel de l’État juif. Et c’est du côté de cet État juif seulement que peut se donner carrière l’admiration de M. Maurras pour la théocratie. Mais passons). Il ajoute : « C’est de mes plus anciennes lectures de Lamennais que m’était peut-être restée, entretenue par les fantaisies fumeuses de Renan, cette inclination à un gouvernement direct de l’esprit pur, qui, en dernière analyse, devait imposer à notre planète un système analogue à celui des Jésuites du Paraguay[1]. » Illusions qui s’évanouirent, dit-il, devant « l’usurpation juridique et politique des Intellectuels ». L’Avenir de l’Intelligence « montre en vingt endroits la différence qu’il faut faire entre les fonctions d’influence qui sont propres à la lumière intellectuelle et l’action matérielle et morale de l’autorité ».

Auguste Comte avait fait cette distinction que la courbe de sa vie intellectuelle et politique a permis à M. Maurras de retrouver. M. Maurras nous dit qu’il a été de l’une de ces conceptions à l’autre, de celle d’un pouvoir spirituel avec la force temporelle à celle d’un pouvoir spirituel réduit à l’ascendant lumineux de l’intelligence. En réalité il a oscillé et toute idée du pouvoir spirituel doit osciller de l’une à l’autre.

M. Bouglé, ayant un jour défini le mouvement démocratique « la volonté de conformer de plus en plus, en poussant aussi loin que possible le respect des personnes, l’organisation sociale aux vœux de l’esprit », M. Maurras observe : « Il manque une majuscule à ce dernier mot qui est tiré de l’Apocalypse. » C’est « une formule de mysticisme ». L’idée du pouvoir spirituel selon Comte et M. Maurras serait, au contraire, semble-t-il, de conformer et d’adapter les vœux de l’esprit à l’organisation sociale, ce qui implique une organisation de l’esprit ; le terme étant sans majuscule entendu au sens d’intelligence humaine. Le pouvoir spirituel serait donc non le pouvoir de l’esprit, mais le pouvoir d’un système spirituel. Un système, c’est-à-dire un ensemble organique de vérités, de principes, et non un droit de l’esprit à remettre

  1. L’Action Française et la Religion Catholique, p. 135.