Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/134

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diction, n’est pas écouté davantage : sans poids intérieur, sans organisation, son caractère extérieur, le bruit, le confond avec tout bruit qui passe et qu’emporte le vent.

Alors, dans cet admirable épilogue du Pape, si plein, si lumineux d’intelligence, auquel manque peut-être un peu de ce souffle oratoire vers lequel il aspire et qui l’achèverait, M. Maurras évoque le pouvoir spirituel réel, organisé, monarchique, du catholicisme. Il dresse un tableau de toute l’activité supérieure déployée par le Pape pour l’adoucissement de la guerre, pour le rétablissement de la paix, et il remarque que « le Pape n’a rien ». Le Pape n’est pas de ces neutres qu’on ménage et qu’on estime et qu’on courtise pour l’aide matérielle ou économique qu’ils apportent : « L’immense bienfait romain se trouve accompli par des mains immatérielles, puisqu’elles sont dépourvues de tout appareil militaire et ne sont chargées d’aucune puissance économique. L’esprit et son prestige, et son ascendant, et ses persuasions, et sa tradition travaillent tout seuls[1]. » Non évidemment cet esprit dont parlait tout à l’heure M. Bouglé, et aux vœux contradictoires duquel la démocratie aussi contradictoire que lui « conformait » l’organisation sociale, mais l’esprit qualifié, incorporé, avec le prestige matériel d’un Vatican, l’ascendant politique d’un monarque, les persuasions de la plus longanime patience, la tradition de dix-neuf siècles. Dès lors tout ce qui pense, tout ce qui écrit, tout ce qui exerce un pouvoir spirituel, est intéressé dans la beauté formelle de ce fait : « D’une source faite de pensées et, de sentiments sans mélange, substance sœur de la méditation des sages et de la vertu des héros, jaillissent à longs flots tous les lourds éléments nécessaires à la réparation de la vie souffrante. »

Tous ? Hélas ! quelle disproportion entre la bonne volonté et les résultats, entre autrefois la trêve de Dieu et les grandes abbayes, et le peu de bien que peuvent réaliser aujourd’hui, dans l’incendie de la terre, les quelques gouttes lustrales de l’eau spirituelle ! M. Maurras s’émerveille en ces pages que le Vatican et le nonce aient été, pendant la guerre, seuls capables de lui rendre un service important en faisant relâcher un consul ami de sa famille et prisonnier des Turcs. « Nulle part on n’aura mieux vu l’esprit créer sa matière ou bien s’assujettir jusqu’à un certain point la matière ennemie : le Grand Turc se laisse toucher. » Oui, parce qu’il est lui-même un pouvoir spirituel, parce que l’atmosphère de l’Orient, où la nationalité même ne rend qu’un son

  1. Id., p. 261.