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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/136

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qu’entre une vaine boucherie et la chirurgie bienfaisante[1]. » M. Maurras n’est d’ailleurs pas altéré de sang humain, et les châtiments corporels qu’il réclame pour ses adversaires ne sont en général que des coups de bâton. Tradition littéraire plus que religieuse : il a été écrit un livre curieux sur l’histoire des coups de bâton dans les lettres françaises. Le docteur du néo-classicisme nous a donné de la matière pour le dernier chapitre de cette littérature baculaire.

Pour trouver l’analogue du pouvoir spirituel de M. Maurras, il faudrait remonter à Saint-Simon, auquel il se rattache par Auguste Comte. De lui à Saint-Simon, les autres tentatives de pouvoir spirituel apparaissent avortées. L’essai de Renouvier pour amener les Français à s’inscrire aux Églises protestantes n’est point sans analogie formelle avec celui de M. Maurras : il s’agissait pour lui, en somme, d’organiser autour d’une idée, d’une réforme, les éléments non catholiques de la France et de les soustraire à l’anarchie en leur adaptant un minimum d’ordre. La Critique Religieuse ne put jamais trouver le moindre public, et Renouvier avait depuis longtemps abandonné son projet quand le testament de Taine vint lui donner son unique et précieuse adhésion, — victa Catoni. Auguste Comte paraît avoir mieux réussi. Le positivisme forma une Église, et même deux qui vivent encore aujourd’hui. Mais le pouvoir spirituel du grand prêtre de l’humanité ne s’étendit jamais que sur quelques doux rêveurs. On aura un bon terme de comparaison entre le pouvoir spirituel de Comte et celui de M. Maurras en rapprochant l’indifférence avec laquelle les jésuites reçurent les offres d’amitié de Comte et les multiples appuis que s’est créés auprès de la cour de Rome, et dans cette cour, M. Maurras. Seul le saint-simonisme, qui posa le premier la question du pouvoir spirituel, a marqué une organisation et une efficace de ce pouvoir analogues à celles qu’il a reçues de M. Maurras. Ce pouvoir spirituel eut pour consécration, comme celui du christianisme à sa naissance, un procès, celui de Ménilmontant. La Haute-Cour a paru quelquefois guetter M. Maurras. Mais la ciguë est depuis Socrate l’emblème de tout pouvoir spirituel naissant…

M’est-il permis de rappeler Socrate ? Mais M. Maurras lui-même m’y convie. Le Politique d’abord, c’est l’idée d’une « réforme politique et sociale préalable » par laquelle « un beau mouvement religieux aurait des chances de réussir en France, d’y forcer l’atonie générale, et d’obtenir que l’intelligence régénérée reprenne le gouvernement de l’action

  1. La Politique Religieuse, p. 142.