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sujet la distinction de l’organique et du critique, que Saint-Simon transmit a Comte, et que Comte aurait transmise à M. Maurras si celui-ci ne l’avait trouvée dans sa nature. Il partage la sympathie de Comte pour tous ceux qui cherchent à construire et son antipathie pour tous ceux qui veulent détruire. Ainsi, dans ses jugements sur la Révolution, Comte met la Convention, qui a gouverné et bâti, bien au-dessus de la Constituante, qui a critiqué et aboli. M. Maurras appelle de même la Constituante « la plus folle et la plus criminelle de toutes les Assemblées françaises, sans excepter la sanguinaire, mais réaliste, positive et patriote Convention[1]. » La philosophie « romane » de Comte, le romanisme de M. Maurras appartiennent au même ordre du positif et du constructif. « Je suis Romain par tout le positif de mon être », s’écrie-t-il dans Barbares et Romains et le morceau entier constitue comme une somme du positif portée au crédit de Rome.

Reste le dernier sens, le positif rapproché du relatif et opposé à l’absolu. Ici encore nous retrouvons chez M. Maurras une double démarche de la pensée comtiste. D’une part le positif, pour lui, c’est le domaine des faits, de l’expérience, qu’il prétend interpréter et même totaliser, mais qu’il se défend toujours de transgresser. Non l’expérience en général, mais l’expérience politique acquise et groupée du point de vue d’un seul problème, — l’intérêt national. Il se refuse à traiter aucune question d’esthétique, de justice, de politique sinon dans sa relation avec l’intérêt français, qu’il s’agisse du romantisme, de l’affaire Dreyfus, de la forme du gouvernement. Cet inflexible relativisme national choquera fréquemment une pensée souple, habituée à s’élargir et qui trouve sa vérité dans cet élargissement, de même que l’on est surpris de voir le relativisme humain de Comte se désintéresser presque de l’astronomie stellaire parce que c’est trop loin et trop vague. Répondant à un article de M. Jaurès sur la question d’Alsace-Lorraine, M. Maurras écrit : « Pour M. Jaurès il n’y a point d’Alsace, il n’y a point de Lorraine, Jaurès ne retient, il ne compte que l’idée d’une offense morale faite en 1871 aux Lorrains et aux Alsaciens, à ceux, du moins qui vivaient à ce moment-là. Où nous parlons géographie, économique, histoire, art militaire, il nous répond jurisprudence, éthique et religion : les Allemands ont fait du mal aux Alsaciens et aux Lorrains, ils les ont annexés sans leur consentement ; les Allemands sont donc tenus à réparer leur tort. M. Jaurès est inflexible sur ce

  1. L’Étang de Berre, p. 85.