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société qu’elle offusque d’exigences spirituelles. Mais l’Église intervient, qui la rend inoffensive, puis féconde, qui transforme la force en pouvoir spirituel, organisé, en face du pouvoir temporel, de façon à moyenner la grande fin sociale, la paix, jusqu’à y faire participer le pli le plus secret de la conscience individuelle.

La réflexion de Faguet que j’ai citée fut faite à propos d’un républicain absolutiste, qui est censé lui avoir dit, à l’époque où M. Paul Desjardins essayait de fonder une petite association de progrès moral, d’épuration, d’édification : « C’est très dangereux, cette machine que fonde Desjardins, elle créera des embarras au gouvernement. » Précisément, pour que son gouvernement n’ait pas d’embarras ou pour qu’il en ait le moins possible, M. Maurras ne voudrait pas que Desjardins fondât des « machines ». Il voudrait avec Comte que tous les gens pour qui ces « machines » sont des besoins s’en tinssent à celle qui a fait ses preuves, à celle qui depuis dix-huit cents ans est appuyée sur la pierre de Rome : « Il faut, dit-il, définir les lois de la conscience pour poser la question des rapports de l’homme et de la société ; pour la résoudre il faut constituer des activités vivantes, chargées d’interpréter les cas conformément aux lois. Ces deux conditions ne se trouvent réunies que dans le catholicisme. Là, et là seulement, l’homme obtient ses garanties, mais la société conserve les siennes : l’homme n’ignore pas à quel tribunal ouvrir son cœur sur un scrupule ou se plaindre d’un froissement, et la société trouve devant elle le corps d’une société complète avec qui régler les litiges survenus entre deux juridictions semblablement quoiqu’inégalement compétentes. L’Église incarne, représente l’homme tout entier ; l’unité des personnes est rassemblée magiquement dans son unité organique. L’État, un, lui aussi, peut conférer, traiter, discuter et négocier avec elle. Que peut-il contre une poussière de consciences individuelles que les asservir à ses lois ou flotter à la merci de leur tourbillon ?[1] »

Théoriquement, ce sont là de belles et nobles idées qui s’enchaînent avec solidité et s’épanouissent avec ampleur. On y reconnaît l’allure des thèses théologiques, et il n’est pas étonnant que des pages de M. Maurras soient citées comme des modèles dans des traités de théologie romaine. Nous sommes ici sur le terrain idéal où se place par exemple le Syllabus dont M. Maurras a écrit une intelligente apologie.

  1. La Politique Religieuse, p. 390.