Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même de ces causes. Elle se développe incessamment, portant avec elle la maladie et la mort, grâce aux funestes institutions de l’an VIII, qui « travaillent depuis cent ans à affaiblir, faute de pouvoir les détruire complètement, la famille, l’association, la commune, la province et, en bref, tout ce qui seconde et fortifie l’individu, tout ce qui n’enferme pas le citoyen dans son maigre statut personnel. »

La démocratie pure n’existe pas. « Ce qui existe en France depuis la funeste Déclaration des droits de l’homme, c’est un état d’esprit démocratique ». Bien. Mais il existe aussi un état d’esprit aristocratique. À la page suivante M. Maurras écrit : « Il serait ridicule de dire que nos mœurs sont démocratiques. Tout observateur attentif distingue, au contraire, que les différences de classe se marquent et s’accentuent en France de jour en jour[1]. » Bien encore : des mœurs ne vont pas sans un état d’esprit. Et il existe enfin un état d’esprit monarchique. La République est l’absence du roi, mais cette absence garde l’empreinte de l’absent. Les institutions de l’an VIII, dont se plaint M. Maurras, et qui nous régissent non politiquement, mais administrativement, sont des institutions monarchiques, une mauvaise monarchie mais enfin une monarchie. Qu’est-ce à dire sinon que la France, absolument comme tous les États un peu complexes du monde, ceux du passé et ceux de l’avenir, représente un gouvernement mixte ? La théorie du gouvernement mixte, formulée par Aristote (d’après Platon) et jugée par lui le meilleur gouvernement était, comme en fait foi le De Republica de Cicéron, incorporée à l’opinion éclairée et à la sagesse des anciens. Ce n’est pas seulement le meilleur gouvernement, mais tous les gouvernements même médiocres qui sont mixtes, et qui comportent une dose plus ou moins modérée de démocratie. Dans un vigoureux chapitre de la Politique Religieuse, M. Maurras se moque beaucoup du vicomte d’Haussonville qui avait allégué que l’Église « offrait le parfait modèle d’une société démocratique où la naissance ne conférait aucun droit. » M. Maurras n’a pas de peine à montrer que l’Église, sauf en ce qui concerne l’hérédité impossible dans une hiérarchie de célibataires et dans une société spirituelle où l’on n’est introduit que par la naissance du baptême, a une constitution aristocratique et monarchique. C’est vrai. Mais enfin, dans notre langage d’aujourd’hui, le sens de démocratie ne se borne pas plus à celui de gouvernement par le peuple que le sens

  1. Enquête, p. 119.