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La controverse qui peut s’installer ici sur Démosthène et Isocrate, sur le nationalisme et le philippisme à Athènes, elle se retrouve pareille au grand tournant de l’histoire romaine, lors de la lutte des républicains contre César et ses héritiers. Mommsen, dans sa forte histoire, si résolument césarienne, a écrit des pages pleines de verve sur les courtes vues de Caton et de Pompée, et sur l’heureuse nécessité qui menait Rome et l’humanité avec elle dans la voie impériale. À quoi Boissier, dans notre vieux Cicéron et ses amis, fait des objections pleines de sens, et du même ordre que celles de M. Maurice Croiset et de M. Maurras. Il est pour Pompée comme ils sont pour Démosthène… En Allemagne la thèse de Mommsen devint classique, et le césarisme s’incorpora à la dogmatique pangermaniste. De là même encre, les derniers, volumineux et érudits travaux germaniques sur Isocrate font de son panhellénisme décoratif et de son philippisme des analyses qui révèlent ou tout au moins cherchent en lui le grand homme d’État de son temps. Et Droysen… Car tout, grand état militaire ou autoritaire, Macédoine ou Empire romain, représenta pour l’Allemagne prussienne un prédécesseur ou un précédent.

C’est donc d’elles-mêmes que ces figures de la vie politique ancienne figurent, pour un esprit complaisant et aigu, de la politique actuelle. L’article de M. Maurice Croiset, commenté par M. Maurras, les noms de Démosthène et d’Isocrate qui y sont mêlés et leur caractère qui y est discuté, fournissent pareillement une heureuse occasion de rappeler que dans la mesure où l’idée du Roi, centre de la pensée de M. Maurras, est un produit de la réflexion et une construction de la raison, nous la retrouvons, analogue par ses traits généraux à ce qu’elle est chez lui, dans la république d’Athènes, au siècle et comme l’œuvre de l’esprit philosophique. Dans l’Athènes du Ve et du IVe siècle, il n’existe pas de dynastie nationale, ni même l’amorce d’un fondement sur lequel une imagination quelconque puisse asseoir l’idée d’une monarchie athénienne possible. L’esprit n’en est que plus libre pour construire l’idée du Roi, et cela de deux sources qui rappellent bien celles où s’alimente la pensée de M. Maurras.

C’est d’abord l’idée socratique que la politique constitue un métier, qu’elle doit être, comme les autres, exercée par l’homme compétent. Le Socrate des Mémorables figure souvent ce mélange de Sarcey, de Sancho Pança et de la Palisse dont M. Maurras se fait gloire de susciter parfois l’image. Evidemment Socrate n’est pas royaliste : il ne lui aurait manqué que cela ! Il veut la bonne République, comme