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politiques allemandes en se plaçant au point de vue de l’intérêt allemand, il la repousserait bien entendu, et cela se comprend, avec horreur, M. Maurras, comme tout patriote intégral, ne saurait admettre dans sa pensée aucune coexistence de nationalismes dans l’espace, dans le simultané, où évidemment ils s’excluent. Mais la même nécessité logique n’apparaît pas aussi impérieuse sur la ligne de la durée que dans le plan de l’espace. Le langage même situe dans l’espace le compossible ; mais la durée, comme l’indique dans le Phédon l’argument des contraires, admet pour un même sujet les contraires successifs. L’esprit, qui répugne à loger dans l’espace des contraires simultanés, ne répugne donc pas à loger dans la durée des contraires successifs ; dans les sciences expérimentales on voit clairement quand ces contraires successifs sont des contradictoires et quand ils ne le sont pas : la santé et la maladie sont des contradictoires dans le cas de maladies incurables et n’en sont pas dans le cas de maladies curables. Mais l’histoire développant une série de faits uniques, il est pratiquement impossible de savoir si les contraires étaient contradictoires ou s’ils ne l’étaient pas. L’ordre de l’Ancien Régime, puis le désordre de la Révolution, puis l’ordre du Consulat, figurent bien (dans la mesure où l’idée peu scientifique, et en somme provisoire et commode, de « contraires » peut leur être appliquée,) des contraires successifs non contradictoires, puisqu’en fait ils se sont réellement succédé. Mais deux contraires, idéalement et non réellement successifs, c’est-à-dire l’un réel et et l’autre simplement possible, dans le passé, étaient-ils contradictoires ? Nous ne pouvons le savoir. La disgrâce de Richelieu en 1629 et le maintien de ce qui nous paraît évidemment l’œuvre de Richelieu, à savoir l’établissement de la monarchie absolue, peuvent être dits des contraires : il est probable, mais il n’est pas sûr qu’ils aient été contradictoires, c’est-à-dire que, Richelieu disgrâcié, la monarchie absolue ne se serait pas établie tout de même, puisqu’à défaut de la cause principale réelle il restait d’autres causes possibles, et certaines mêmes causes réelles, comme la carence de l’aristocratie et les nécessités de la défense extérieure. Mais il est des cas où le caractère contradictoire des contraires apparaît comme presque certain. Il semble bien que le procès de fusion et d’unification que fut la fin de la cité antique et l’établissement de la romanité, événement dont la France moderne est, avec beaucoup d’autres réalités morales et politiques, sortie, impliquait nécessairement que la cité antique, sous sa forme particu-