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giste jusqu’au jour où la Compagnie de Panama, pressée par Floquet, comme un citron sur une huître, lui redonna le ton parlementaire »[1].

Mais les images supérieures créées par M. Barrès sont celles-là qui épousent un mouvement, nous font épouser ce mouvement, nous placent dans son attitude et dans sa suite : le type d’images qui a pour patron Montaigne. Il dit des phrases de Jules Tellier ce qu’on dirait volontiers des siennes : « Ces phrases, faisant miroir à la façon des bois et des métaux polis, nous reflètent l’essentiel de sa physionomie et le dessin de son attitude, comme s’il se courbait encore sur elles pour les travailler »[2].

Voici une image construite de l’intérieur avec tous les frémissements de la vie : Les compliments de M. de Nelles à Thérèse Alison « enchantent la jeune fille, et, comme une caresse qui lustre les plumes d’un bel oiseau, ils lui donnent plus de vie, plus d’éclat, plus d’attrayante irréflexion. Belle voix, lumineux sourire, ignorance de la vie, et confiance en soi-même qui s’épanouissent chez une fille de dix-huit ans comme au printemps s’étale la queue en panache d’un paon »[3]. On suivra des mouvements pareils dans celle-ci, si légère, et vraiment respirée dans un salon : « Les salons où la femme désœuvrée, mal défendue par ses robes légères contre les impressions du dehors, est d’épiderme prête à frissonner du moindre souffle passionné qui passera dans la ville »[4].

Les images de mouvement vivant ne sont nullement ces « métaphores qui se suivent » dont s’enorgueillissait le bon Gautier. La métaphore trop suivie prend une allure mécanique et lourde, laborieuse et qui sent l’huile. « On dénombrait maintenant les suspects de concussion, les Hébrard, les Rouvier, les Roche, les Baïhaut, les Maret, les Proust. Tous ces noms se succédant comme une suite de petites explosions donnaient de l’avance à l’allumage, et, puisqu’il n’y avait personne du gouvernement pour débrayer et faire jouer les volants dans le vide, la terrible machine anti-parlementaire menait chaque jour d’un train plus infernal sa besogne de destruction »[5].

  1. L’Appel au Soldat, p. 536.
  2. Du Sang, p. 4.
  3. Les Déracinés, p. 121.
  4. L’Énnemi des Lois, p. 17.
  5. Leurs Figures. p. 22.