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La forme lumineuse et vibrante de la patrie, l’étendard significatif et très haut qui la résume, c’est cette autre figure de vie pure, — une lyre sur un sommet. Tout l’univers se compose du point de vue d’une promenade sur la colline de Sion-Vaudémont.

« La nuit couvrait les espaces, la terre ne semblait qu’un aride gravier ; nul amour ne montait du jardin, nulle gloire ne montait des cieux, et pourtant, à notre insu, il y avait une divine préparation. Si les branches se courbaient, c’était du poids de leurs parfums ; nous ne semblions abattus qu’à cause de nos désirs sans objet et le souffle de la grâce pouvait mollir, ordonner ce chaos. On le vit bien quand, du milieu de ce silence, soudain une voix chanta, jet d’eau pour féconder notre desséchement, fusée-signal dont la courbe souveraine et la pluie de feu ne me laissèrent plus ignorer quel était le centre du monde »[1].

Oui, le centre du monde, réellement, pour un beau mysticisme lyrique. Ici une prose nostalgique paraît attendre la poésie, s’ouvrir pour elle comme Danaé à la pluie d’or, se modeler d’en bas par ses étangs crépusculaires sur ses nuages et ses rythmes. Elle n’ignore point le centre du monde, mais à ce centre est incorporé le doigt qui, posé sur des lèvres, défend de le désigner. Poésie, musique, sont là, informulées, et qui demeurent le feu sacré, la dalle où s’assied une Vestale en voiles blancs, le centre d’où l’éclatante fusée du rossignol va dessiner dans la vie comme dans une feuille au vent frissonnante son jeu de nervures intérieures.

III
LE VOYAGE

Ce mouvement, cet élan, ces puissances du désir sans objet, il semble qu’aujourd’hui le voyage leur confère une réalité, un acte à leur mesure et selon leur vœu. Je pense à la définition qu’Aristote donnait du

  1. Les Amitiés Françaises, p. 240.