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LA CONNAISSANCE

loppe en idées générales[1] ». C’est l’acte de la vie, c’est l’effet des mécanismes qu’elle monte, que de s’attacher à des objets analogues, de saisir pour la nourriture de l’individu les mêmes éléments, de sentir le semblable, de réagir d’une manière identique à des moments et sous des excitations différentes. Ces ressemblances spontanées de réaction et d’effet projettent derrière elles des ressemblances réfléchies d’action et de cause, la ressemblance automatiquement jouée par la vie devient pour l’intelligence une ressemblance pensée.

Il y a donc un rapport d’analogie entre l’acte par lequel l’esprit unifie ses expériences en idées générales et le processus d’assimilation qui est essentiel à la vie. On reconnaît ici la méthode psychologique qui reste le meilleur titre philosophique de Spencer. Si M. Bergson ne nomme pas Spencer dans Matière et Mémoire, c’est d’ailleurs que les analyses des Principes de Psychologie, ont été profondément modifiées et repensées par lui. Pour Spencer ce rapport d’analogie correspond à une identité de nature où la seule différence est une différence du simple au complexe. Et il fallait bien que la biopsychologie commençât par ces vues schématiques et sommaires, qui se relient à l’esprit de l’associationnisme. Si la bio-psychologie de M. Bergson a reçu de celle de Spencer et de l’associationnisme son élan vital, cet élan vital leur a tourné le dos. Pour mesurer l’écart entre la psychologie de Spencer et celle-ci, il n’y a qu’à se référer aux pages sur Spencer qui terminent l’Évolution Créatrice. Ce que M. Bergson dit de la vérité et des illusions contenues dans la loi d’évolution, dans le principe de l’évolutionnisme, s’applique trait pour trait à la psychologie de Spencer.

L’attitude spontanée de la vie consiste en une réaction générique, c’est-à-dire en une sorte, non d’image générique, mais de généralité empirique et diffuse. À la racine de notre vie psychologique il y a des répétitions d’attitudes, de mouvements, « des genres esquissés mécaniquement par l’habitude ». C’est sur ce fonds originel que la mémoire spontanée et l’entendement ont agi dans deux directions différentes, la mémoire retenant les distinctions qui donnent à ces ressemblances spontanément abstraites leurs nuances, et « l’entendement dégageant de l’habitude des ressemblances l’idée claire de la généralité ».

Le fait vital élémentaire, l’abstraction par l’être vivant de ce qui, dans son milieu, l’aidera à persévérer dans son être, à durer, se dissocie

  1. Matière et Mémoire, p. 174.