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LE MONDE QUI DURE

quand ce mouvement organisateur est puissamment et pleinement présent, le comique lui-même passe au second plan. Il peut n’y avoir dans une comédie de Molière qu’un seul personnage comique : c’est le cas de l’École des Femmes, et jamais tous les personnages d’une de ses pièces ne le sont. Il peut y avoir, en même temps que des situations comiques, des situations tragiques : c’est le cas du Tartuffe. Mais, si ni les caractères ni les situations ne sont nécessairement comiques, le mouvement est toujours un mouvement comique : condition nécessaire et suffisante d’une comédie.

Analyser ce mouvement comique, coïncider avec l’élan créateur de la comédie, demanderait de longs développements. J’ai voulu montrer seulement, à propos de Molière, que cet élan créateur pose des problèmes originaux qui dépassent le problème du comique et ne sauraient y être ramenés. Si j’écrivais une Philosophie de Molière, elle serait plus proche de Sarcey que de Brunetière. Elle porterait sur la manière dont Molière a vécu son art, sur les habitudes qui ont peu à peu fait coïncider son génie avec le génie même de la comédie. Son cas est sans doute analogue à ceux de Shakespeare et de Corneille. Savoir parler une langue c’est savoir penser en cette langue. Ces hommes n’ont parlé ainsi théâtre que parce qu’ils pensaient théâtre. Mais leur pensée qui est une pensée de théâtre, la critique la considère comme si elle se produisait à la ville. Et les conditions mêmes de la critique font qu’on ne parviendra sans doute jamais à dissiper complètement ce malentendu. Je crois qu’une philosophie comme celle de M. Bergson, une analyse du mouvement, peuvent nous y aider.


X

LA RELIGION

M. Bergson n’a abordé nulle part le problème de Dieu. Le mot Dieu se rencontre rarement dans ses ouvrages, sinon dans des lettres au P. Tonquédec, qui révèlent la gêne d’employer une langue à laquelle sa philosophie n’est pas accoutumée. Mais on ne doit chercher