Quand M. Bergson pensa Matière et Mémoire, ses conclusions métaphysiques survinrent assez tard dans une série de recherches dont le plan ne les comportait pas. Et cela est conforme à la logique de l’invention. Mais si elles ne furent données qu’à la fin, comme conclusions, elles étaient aussi, conformément à cette même logique, impliquées obscurément, sinon comme prémisses, du moins comme harmoniques. Ravaisson, de son côté, était un homme dont le doigt tendu montrait quelque chose, quelque chose qu’on voyait obscur, mais qu’on sentait riche et fécond, et dont on pressentait la communication avec les trésors profonds de toute la philosophie. On peut parler ici d’influence, mais à condition de diluer et d’amenuiser encore cette idée vaporeuse et vague d’influence. Ravaisson s’était pris d’un amour fervent pour la Vénus de Milo, amour plus digne d’un philosophe que les passions de son maître pour les héroïnes de la Fronde. Et son doigt tendu était un signe comme les bras brisés de la Milienne.
Figurer l’idéal qui n’embrasse jamais.
M. Bergson eut pour maître Lachelier à l’École Normale, mais sa formation philosophique ne lui doit guère que ce qu’il est ordinaire de devoir à un très bon professeur, et même, ici, à un grand professeur. Et voici que, dans ce dialogue avec les philosophes, nous sommes au moment où M. Bergson va prendre la parole, la garder, exercer des influences au lieu d’en recevoir.
De ce point de vue, chacun des trois grands ouvrages de M. Bergson correspond à un état particulier, original, de cette influence.
La thèse de M. Bergson lui avait attiré immédiatement la considération très attentive du monde philosophique universitaire. Depuis celle de M. Boutroux aucune n’avait été plus remarquée. On n’en aperçut pas toute la portée, mais il n’est pas sûr que M. Bergson lui-même l’ait aperçue. Lorsque je faisais, quelques années après