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LE MONDE QUI DURE

grande philosophie de l’élan vital. Des lettrés de l’Inde aperçoivent des analogies entre la philosophie bergsonienne et leurs philosophies classiques. Quand Tagore vint en Europe, à quelqu’un qui lui demandait son avis sur le bergsonisme, il répondit superbement qu’il y avait longtemps que l’Inde avait passé par là et que cette philosophie devait figurer quelque part dans leurs vieux systèmes : ainsi les anciennes inventions humaines dans le magasin des Lunaires de Wells ! Mais c’est en quelque sorte passivement que la philosophie bergsonienne laisserait tirer d’elle ces conséquences orientales. Et passive elle ne serait pas bergsonienne. Certes l’Orient, et en particulier l’Inde, présentent certains traits de ce monde qu’imagine M. Bergson à la fin de sa conférence à la Société des Recherches Psychiques : un monde où la majeure partie des efforts intellectuels et moraux aurait été dirigée vers l’intérieur de l’homme, où la valeur suprême aurait paru consister dans l’intuition de l’élan vital. Mais ce monde, nous dit M. Bergson, eût été peu viable, il eût répondu à une démission de l’intelligence, et ce que l’Orient en a réalisé nous montre que l’intelligence occidentale, hellèno-latine, latino-moderne, européenne et américaine, était plus apte à ouvrir la voie devant l’humanité, à enrichir l’élan vital lui-même. Dans son expression la plus complète et la plus haute, la philosophie de M. Bergson est une philosophie de l’action, et il était naturel qu’elle fût le plus favorablement accueillie par le peuple américain, que l’auteur même de Bergsonisme et Moralité a appelé, dans le titre d’un livre de guerre, le Peuple de l’Action.