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LE MONDE QUI DURE

un mécanisme. Ses écrivains représentatifs sont ses auteurs dramatiques et ses moralistes. Il a voulu comprendre, comprendre d’abord et surtout l’homme.

Enfin le rire ne concerne que l’homme en société. Et l’art du XVIIe siècle, c’est l’art de l’homme en société, comme le lyrisme du XIXe, après Rousseau et Chateaubriand, c’est l’art de l’homme individuel, isolé, révolté. Brunetière a longuement et fréquemment montré que les genres propres au XVIIe siècle peuvent s’appeler les genres communs, les genres qui exigent un public, présent en chair et en os, comme le théâtre, le sermon, l’oraison funèbre : les moralistes, tels que La Rochefoucauld et La Bruyère, ont tiré leur littérature des salons, des cercles, des sociétés. Non Pascal à vrai dire qui a écrit ses Pensées seul dans une chambre : mais n’a-t-il pas fallu attendre Rousseau, Chateaubriand et le siècle du lyrisme pour que les Pensées apparussent ce qu’elles sont aujourd’hui ? Et on ne doit pas confondre les Pensées avec l’Apologie, qui eût été un vrai livre du XVIIe siècle. L’art de la comédie, qui fait appel au rire commun, représente le genre commun par excellence.

Si nous essayons de réunir ces trois points de vue en un seul, nous pourrons dire que le XVIIe siècle s’est efforcé de créer, de diverses manières et en divers sens, des caractères, depuis les caractères tout en force comme ceux de Corneille, — ce Michel-Ange, — jusqu’aux caractères tout en modelé et en vérité, comme ceux de La Bruyère, — ce peintre hollandais. — Or il est un art dont on a épuisé toute l’essence quand on a dit qu’il crée des caractères, c’est la comédie. « En un certain sens, écrit M. Bergson, on pourrait dire que tout caractère est comique, à la condition d’entendre par caractère ce qu’il y a de tout fait dans notre personne, ce qui est en nous à l’état de mécanisme une fois monté. » Nous vivons non en tant que nous exprimons, analytiquement et de façon prévue, notre caractère, mais en tant que notre caractère évolue, se modifie, choisit. Cet enrichissement et ce choix, la comédie les laisse absolument de côté. Le caractère qu’elle met en scène peut être, comme c’est le cas dans Molière, fortement vivant ; il n’en demeure pas moins un type prévu, et que nous reconnaissons parce qu’il est tiré autour de nous (non en nous bien entendu !) à des centaines d’exemplaires. La comédie, dit M. Bergson, « est le seul de tous les arts qui vise au général ». Beaucoup plus que la tragédie. Un personnage tragique est lui-même, bien avant d’être une passion ou un vice, et cette passion, ce vice, ne deviennent