Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/10

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chose à la fois de migrateur et de réfractaire. Zola remarque avec justesse qu’il est resté un provincial, que dans ses séjours à Paris il ne prend nullement l’air et l’esprit de la capitale, et qu’il ressemble en cela à Corneille. « Il gardait des naïvetés, des ignorances, des préjugés, des lourdeurs d’homme qui, tout en connaissant fort bien son Paris, n’en avait jamais été pénétré par l’esprit de blague et de légèreté spirituelle. Je l’ai comparé à Corneille, et ici la ressemblance s’affirme encore. C’était le même esprit épique auquel le papotage et les fines nuances échappaient… Il voyait humain, il perdait pied dans l’esprit et dans la mode[1]. » Quand il voudra, dans l’Éducation Sentimentale, faire d’Hussonnet un type d’esprit parisien, il lui faudra dépouiller toute la collection du Charivari ! Corneille et lui sont deux beaux types d’indépendance normande, deux beaux refus que fait le sang nordique de s’adapter à la communauté de la capitale.

Par son père il descend d’une famille champenoise où depuis un siècle au moins la profession héréditaire est celle de vétérinaire. Presque tous les garçons l’exercent. Les études une fois faites à Alfort, ils s’installent là où il y a des places à prendre, ce qui disperse les branches de la famille entre Nogent-sur-Seine, Baigneux et Sens. C’est à Nogent qu’est établi le grand-père de Gustave, Nicolas Flaubert, qui, après avoir failli être guillotiné comme royaliste sous la Révolution, meurt en 1814, à soixante ans, des brutalités que les Prussiens lui ont fait endurer.

À ce moment son dernier fils, Achille-Cléophas, est âgé de trente ans. Le premier de la famille qui ait franchi l’étape de la capitale, il a fait à Paris de brillantes études médicales, y a été l’interne de Dupuytren, qui l’a fait nommer prévôt d’anatomie à l’hôpital de Rouen ; il en deviendra le médecin-chef.

Au temps de Gustave, le nom de Flaubert ne subsistera plus que dans la famille de Rouen. Les seuls rapports que les Flaubert gardent alors avec la branche champenoise, ce sont les longs séjours à Croisset de l’horloger de Nogent, Parain, qui a épousé la sœur du chirurgien. À cet oncle Parain, ou « père Parain », provincial gaillard, gourmand, Gustave

  1. Le Roman naturaliste, p. 185.