Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/146

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le type de la guerre sous des formes atroces et nues, dont il nous semble qu’on doive se détourner avec horreur, et Flaubert d’ailleurs, au moment où il mourut, se proposait d’entreprendre un tableau de bataille d’une nature précisément inverse, un Léonidas aux Thermopyles. Aujourd’hui, pourtant, de telles formes de guerre nous étonnent moins, et nous pouvons leur ouvrir un crédit dans l’histoire future, Flaubert écrira plus tard assez prophétiquement : « Les guerres de races vont peut-être recommencer. On verra, avant un siècle, plusieurs millions d’hommes s’entretuer en une séance. Tout l’Orient contre toute l’Europe, l’ancien monde contre le nouveau. Pourquoi pas ? Les grands travaux collectifs comme l’isthme de Suez sont peut-être, sous une autre forme, des ébauches et des préparations de ces conflits monstrueux dont nous n’avons pas l’idée[1]. » Ce roman de Salammbô, si insolite en apparence et si détaché de la vie, esquisserait fort bien un de ces conflits monstrueux, et Carthage, disparue dans le feu et le sang, lune froide aujourd’hui d’une civilisation morte peut symboliser ici une des possibilités qui attendent la terre, parmi d’autres entre lesquelles la volonté de l’homme choisira.

  1. Correspondance, t. VI, p. 137.