Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/197

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révolution, mais bien par le nouveau sous-préfet, propriétaire de Loulou que la sous-préfète laissera à Félicité. Événement capital, puisque toute la vie intérieure, toute la religion de Félicité sera transformée, et que Loulou l’Américain, à la fois pour elle ce que sont pour Salammbô le python noir et le zaïmph, finira par se confondre avec le Saint-Esprit, deviendra, pour une servante de Pont-l’Evêque, un dieu.

Un cœur simple raconte l’histoire quotidienne dans laquelle nous vivons et qui pour cela ne se laisse pas saisir comme histoire. Au contraire, dans Saint Julien, un recul infini transforme l’histoire en légende. Un cœur simple et Saint Julien sont placés aux deux extrémités où il n’y a pas encore et où il n’y a plus d’histoire, et où, pourtant, la figure de l’histoire rôde, ici comme un pressentiment et là comme un souvenir. L’un et l’autre, si on veut les définir par ce qu’ils ne sont pas, figurent pour Flaubert ce qui n’est pas dans les livres, ce qui était l’être normal de la durée humaine avant que ceci eût tué cela, que le livre eût tué la foi naïve et la cathédrale, puisqu’Un cœur simple est pris à la chronique spontanée de la famille de Flaubert, et Saint Julien à un vitrail d’une vieille église. Ces deux formes de ce qui est en deçà et au-delà de l’histoire mettent d’autant mieux en valeur les réalités historiques d’Hérodias, le récit taillé à même le plein et le vif de l’histoire, celui où un Taine trouve tant d’informations précieuses, le belvédère d’où deux civilisations, celle des Juifs et celle des Romains, apparaîtront dans toute leur substance, leur contraste et leurs rapports. Dans Saint Julien, il n’y a plus d’histoire, tout est devenu légende religieuse, couleur de vitrail et symbole. Dans Hérodias au contraire, une des grandes légendes humaines est ramenée à de l’histoire nue, à du détail archéologique et politique aussi vrai que possible. Il est même curieux de voir le génie historique fonctionner dans Hérodias tout à fait comme dans Polyeucte, auquel sans doute Flaubert ne pensait guère. Les deux Normands subtils ont eu recours, en somme, aux mêmes procédés, aux mêmes valeurs, pour représenter en historiens la mise en contact et le heurt tragique de la religion nouvelle et de l’administration impériale romaine : un homme saisi par l’aura religieuse, Iaokanann et Polyeucte, – un préfet, Hérode et Félix, que cette explosion religieuse inquiète non seulement dans son administration, mais dans sa