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9. « Bouvard et Pécuchet »


Bouvard et Pécuchet, que Flaubert laissa inachevé, parut après sa mort et provoqua toutes sortes de diatribes et d’exclamations. Il semblait que Flaubert, ayant gardé sur le cœur les clameurs de la critique au sujet de la dernière ligne de l’Éducation sentimentale, eût étendu cette ligne en un volume entier pour la faire manger à ses contemporains et se réjouir de leur grimace. Ce ne fut plus de la colère, ce fut de la commisération. Une certaine critique a épuisé sur Bouvard et Pécuchet, comme sur les Fleurs du mal, tous les termes du scandale et du mépris. D’autre part, il y eut un groupe de flaubertistes fanatiques pour qui Bouvard était non pas un livre, mais le Livre. Ce groupe qui tenait par Georges Pouchet, le biologiste, la tradition authentique de Flaubert, et dont M. Céard, qui en était, a donné la figure dans Terrains à vendre, aurait pour homme représentatif M. Thyébaut, auteur du Vin en bouteilles, et Rémy de Gourmont s’en fit parfois l’historiographe. Gourmont est de ceux qui tiennent Bouvard non seulement pour le chef-d’œuvre de Flaubert, mais presque pour le chef-d’œuvre de la littérature. Le seul ouvrage classique dont il ait parlé avec le même enthousiasme, et qu’il ait loué pour des mérites analogues, c’est la Chanson de Roland. Et, si le « dépouillé » est l’idéal de la littérature, je ne trouve pas cela si ridicule. Toujours est-il que les opinions sur Bouvard et Pécuchet restent très partagées.

Sans être bouvardier au point de le mettre au-dessus de toute littérature, je trouve que c’est un livre très fort dans l’ensemble, mais traité dans le détail avec de terribles partis pris et une