Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réfléchi. Effort d’ailleurs plus ou moins réussi. Dans les passages travaillés, le travail reste trop visible. Cela sent l’huile. Le labeur donne parfois un style universitaire qui rappelle celui du jeune Taine. « Le vent est tiède sans volupté, le soleil doux sans ardeur ; tout le paysage enfin, varié dans sa monotonie, léger, gracieux, mais d’une beauté qui caresse sans captiver, qui charme sans séduire, et qui, en un mot, a plus de bon sens que de grandeur et plus d’esprit que de poésie : c’est la France. » Mais dans la phrase suivante, malgré ses faiblesses et ses singulières incorrections, voici pour la première fois, je crois (on le retrouvera aussi dans la première Tentation), le tour des passages à effet de Madame Bovary : « Tout à coup un souffle de vent est venu, doux et long comme un soupir qui s’exhale, et les arbres dans les fossés, les merles sur les pierres, les joncs et les lentilles sur l’eau, les plantes des ruines et les gigantesques lierres qui, de la base au faîte, revêtaient la tour sous leur couche uniforme de verdure luisante, ont tous frémi et clapoté (sic) leurs feuillages ; les blés dans les champs ont roulé leurs vagues blondes, qui s’allongeaient, sur les têtes mobiles des épis. La mare d’eau s’est ridée et a poussé un flot sur le pied de la tour ; les feuilles des lierres ont toutes frissonné ensemble, et un pommier en fleurs a laissé tomber ses boutons roses. »

Si, à partir de Madame Bovary, Flaubert a fini ses écoles, s’il est devenu (aidé de Bouilhet) son propre Boileau, qui se vantait d’avoir appris à Racine à faire difficilement des vers faciles, il ne cesse pas pour cela d’être porté par un mouvement, de conquérir de nouveaux domaines de style. Madame Bovary, Salammbô, l’Éducation, la Tentation, Bouvard impliquent cinq formes de style qui, malgré leur analogie, ne laissent pas d’être assez différentes et de posséder leur clef particulière. En quoi Flaubert se conforme admirablement à la loi de l’unité du style, qui veut qu’il n’y ait qu’un style, qu’une forme juste pour chaque idée. Les cinq romans comportant cinq idées différentes, la différence de ces idées doit nécessairement se retrouver dans la différence des styles. Et Flaubert, étant le seul romancier qui ait observé parfaitement ces différences, est aussi le seul qui ait parfaitement écrit. Le style de Madame Bovary sent encore l’école, conserve l’eau de son baptême oratoire, il est étoffé, nombreux, sensuel. Le style de Salammbô, plus ramassé, plus martelé, plus mâle, contracte sa