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Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/273

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Malherbe donna à La Fontaine la révélation de la poésie, Flaubert est bien plus fort d’avoir ainsi empêché qu’on vît ses fautes qu’il ne le serait s’il ne les avait pas faites. Ce n’est pas saint Jean que le Christ a institué son vicaire, c’est l’apôtre qui l’avait renié trois fois. Prenez de cela ce qu’il en faut prendre, c’est-à-dire un conseil de ne pas vous frapper outre mesure devant ces listes grammairiennes.

Viennent enfin, et ce sont les plus nombreuses, les fautes contre la langue écrite qui tiennent à l’emploi de la langue parlée, et mal parlée. Flaubert est le seul de nos grands écrivains qui écrive couramment parti à Paris, parti dans sa famille, je m’en rappelle, quoique je suis, bien que je suis, causer à quelqu’un, expressions qu’on trouve parfois dans ses romans, souvent dans ses lettres, et qui devaient être naturelles à son langage parlé. Ces fautes en seront-elles encore dans un demi-siècle ? L’invincible analogie de se souvenir et de se rappeler n’aura-t-elle pas raison de la nature des deux mots ? Comme l’analogie de causer et de parler. Quoiqu’il lui faudra est incorrect, soit, mais il appartient à la langue parlée. Nous sommes obligés, pour exprimer le subjonctif futur, de nous servir, comme l’anglais, de devoir pris comme auxiliaire. Et il est permis de préférer, surtout dans la bouche de M. Homais, quoiqu’il lui faudra, à la forme exacte, mais terriblement artificielle, de quoiqu’il lui doive falloir, ou à la forme correcte, quoiqu’il lui faille, qui ne marque pas le temps ; obligée, par l’absence du subjonctif futur, de choisir entre le mode et le temps, la langue parlée choisit selon le cas tantôt le mode, comme la langue écrite, et tantôt, comme ici Homais, le temps.

Plus de la moitié des « fautes » de Flaubert (la Correspondance non comprise) se trouve dans Madame Bovary, et cependant Madame Bovary reste une des merveilles du style français, et ce n’est pas seulement malgré ces fautes, mais il y a un biais par lequel ces fautes sont incorporées à cette qualité de style. Souvenons-nous que l’œuvre française qui traîne derrière elle le plus lourd catalogue de fautes, catalogue rédigé non par des individualités sans mandat, mais par la plus illustre compagnie, sur l’ordre de son illustre fondateur, c’est le Cid, tragédie de cet « avocat de Rouen », comme eût dit peut-être Conrart, si le premier secrétaire perpétuel de l’Académie n’avait tenu à donner à ses successeurs l’exemple du silence