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Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/104

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abstrait de position paraît plus saisissant, pour exprimer la Némésis de l’histoire, qu’un apologue d’Hérodote ou un discours de Socrate. Il ne semble pas pourtant que l’idée morale, le mythe de Némésis, si naturel en ces époques tragiques puisqu’en notre guerre on s’y reportait invinciblement, ait signifié ici quelque chose pour l’intelligence sèche, lumineuse, aiguë de Thucydide. Dans ce dialogue unique, qui est, comme schéma idéal, aux discours de l’histoire ce que ces discours eux-mêmes sont au récit des événements, les Athéniens ramassent, en des formules dont le poids et le marbre n’ont jamais été retrouvés, la doctrine de la force, la nécessité pour le puissant d’aller jusqu’au bout de son intérêt. Frédéric II et le Comité de Salut Public nous en rendront, dans la claire langue analytique du xviiie siècle, quelque chose, et ne justifieront pas autrement l’invasion l’un de la Saxe, l’autre des Pays-Bas. La différence est que nos modernes ont passé par le vestiaire de Teufelsdroeck et par la philosophie des habits, sont enveloppés et grimés par l’Anti-Machiavel et par les Droits de l’homme. Ni les principes de la belle nudité antique, ni l’art de Thucydide ne permettraient que les Athéniens parlassent aux Méliens avec ce contraste bizarre d’un langage vrai et d’un faux-nez. Les Athéniens exposent simplement aux Méliens qu’ils ont besoin de leur alliance, qu’étant les plus forts ils l’exigent et n’admettent pas leur neutralité : les Méliens, colonie de Lacédémone, ne voulant pas prendre part à la guerre contre leurs fondateurs, sont assiégés, les hommes massacrés, les femmes et les enfants réduits en esclavage. Cela se passe en l’hiver de la seizième année de la guerre, et c’est le même hiver que les Athéniens forment le projet de l’expédition de Sicile.